Lyrics Nadia Lamarkbi – Photo Fifou
Youssoupha est un artiste engagé, et fait avancer les mentalités à coup de rap d’amour. Le lyriciste bantou sort enfin son (excellent) album Négritude. Un nom d’album qui revient comme un marronnier depuis le début de sa carrière : souvent annoncé, jamais sorti. Pourquoi enfin assumer ce titre ? La réponse, dans Fumigène.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour appeler ton album Négritude ?
La 1ère fois que j’ai voulu d’appeler mon album Négritude, j’avais l’écho que cela pouvait être maladroitement compris, que ce titre renverrait l’image d’une personne qui cherche la séparation alors que j’avais dans l’esprit d’être plus fédérateur. Et peut-être aussi que mon identité n’était pas encore assez affirmée pour pouvoir porter une telle responsabilité. Du coup, j’ai ajourné le projet car, à ce moment là, je pensais que ces arguments étaient recevables mais les choses ont depuis bien tourné pour moi notamment avec l’album Noir D***. Aussi, je me suis dit que c’était le moment.
Le titre « Négritude » est une référence au concept de d’Aimé Césaire, le poète antillais. Te reconnais-tu dans cette idée ?
On a besoin de se construire pour construire le lien avec les autres. Nous avons samplé un passage de Césaire dans le titre «Négritude» qui formule le mieux possible ce sentiment. Lorsque je regarde mon expérience personnelle, ce que j’aime chez les gens, c’est leur différence. Je ne m’intéresse pas à ceux qui sont des copies conformes de moi-même. Cela n’a aucun intérêt. C’est pour mon identité noire que j’ai été stigmatisé ou que l’on stigmatise ou exclu d’autres personnes. Aujourd’hui, j’ai la conviction que c’est une de mes valeurs, ma valeur ajoutée. J’en suis très fier, je la porte et j’ai même envie de le partager avec les autres.
Aujourd’hui encore, des décennies après Césaire, faut-il toujours réaffirmer sa négritude ?
C’est ce qui m’a interpellé et c’est aussi pourquoi j’ai aussi choisi d’appeler celui là Négritude. En plus, mon public, lui, ne se pose pas la question de savoir si c’est un bon titre ou pas. C’est les professionnels et certains médias, « les insiders » comme on dit, qui se posent ce genre de question. Avant j’étais clairement dans un projet de conquête, c’est encore le cas aujourd’hui mais les enjeux ne sont plus les mêmes. Ce que j’avais à faire, j’ai l’impression de l’avoir fait et j’essaie maintenant de faire des projets avec des perspectives alors qu’avant j’étais dans l’immédiateté.
Dans l’une de tes chansons, tu parles de la tuerie de Janvier dernier. Comment as-tu vécu cet évènement? As-tu ressenti le besoin de t’exprimer sur cette chanson ?
Pour « Love Music » avec Ayo, je l’ai évoqué parce qu’on a écrit le morceau le 9 janvier. Nous étions dans un studio à Porte de Montreuil alors que la prise d’otages se passait à porte de Vincennes, à côté. Et autour, c’était l’état de guerre, les barricades, les militaires… Avant de commencer, nous avons beaucoup parlé de nos enfants, de la société française dans laquelle on vit…
Es-tu inquiet pour des dérives de cette société ?
Dans mon morceau « Entourage », je dis : «Lorsque les gens sont boycottés forcement ils se lassent, lorsque l’on met les gens de côté, forcement ils s’éloignent.» Il y a une espèce de double discours, de schizophrénie dans notre société. On nous dit : « Intégrez vous » mais on n’est pas tous pareil malgré tout. Nous ne sommes pas tous égaux. On ne peut pas demander de s’intégrer lorsqu’au moment où on se retrouve devant un juge, un policier, une administration ou encore un propriétaire pour avoir un appartement ou un recruteur pour un emploi, on ne vous met pas sur un même pied d’égalité. Dans Love Music, je dis indignez-vous mais faite le aussi pour les autres. On nous apprend le vivre ensemble mais sommes-nous prêt à mourir ensemble. Est-ce que dans le dur, nous sommes ensemble ?