Samir Hadj Belgacem a obtenu le Prix Le Monde de la recherche universitaire 2016. Sa thèse : « Représenter les “quartiers populaires” ? : une socio-histoire de l’engagement électoral et partisan dans les cités d’une municipalité communiste ». A l’aube des élections présidentielles, le chercheur en sociologie et en science politique nous éclaire sur les relations parfois houleuses, souvent pleines de malentendus, entre politique et quartiers populaires.
Lyrics : Peggy Derder
Photos : Nnoman
La gauche a-t-elle définitivement perdu les quartiers populaires ?
L’attachement à la gauche n’est plus aussi puissant. Le clivage droite-gauche est de moins en moins structurant pour les candidats ou les porte-parole des quartiers. Le basculement de plusieurs communes de banlieue à droite, comme Le Blanc-Mesnil ou Bobigny en Seine-Saint-Denis, résulte en partie d’une incapacité de la gauche à prendre en considération les attentes des habitants. Et c’est le fruit d’un processus de rupture engagé depuis plus de 30 ans. La nouvelle génération de militants politiques, lassée par le mépris, les discriminations ou le manque de reconnaissance, n’hésite pas à aller vers le plus offrant. Même s’il est de droite. Par défaut, ou pragmatisme, ils jugent sur le concret : embauche d’animateurs, mise à disposition d’un local…
Observez-vous un recul de l’engagement ?
Pas forcément. Mais, face à l’absence de débouchés, face au refus de leur laisser une place, les jeunes prennent place dans une organisation faute de mieux. Et l’accusation de carriérisme est toujours portée contre les hommes des “ cités “, qu’on accuse en plus de ne pas être représentatifs. D’ailleurs, c’est en réaction à ces accusations que des listes indépendantes ou citoyennes ont émergé. Certaines font, quand même, de 4 à 12%. C’est loin d’être négligeable ! Les aînés se méfiaient déjà des partis mais, désormais, de nombreux jeunes affichent sans complexe : « les partis nous instrumentalisent, alors on va instrumentaliser les partis ».
Et le clientélisme en banlieue, mythe ou réalité ?
Les logiques clientélistes sont très fortes, dans les « cités » comme ailleurs, et jouent davantage dans une logique collective qu’à des échelles individuelles. Mais les classes populaires n’en sont pas les principales destinataires, contrairement à une idée largement répandue. Ce sont les classes moyennes et les catégories aisées qui en bénéficient le plus, pour l’aménagement de leur quartier, les transports, les écoles, l’accès à des équipements collectifs … Le discours éthique de certains militants est aujourd’hui dépassé par un rapport de plus en plus matérialiste à la politique.
Quel vote pour les prochaines présidentielles ?
C’est difficile à prévoir. Aucun sondage, aucune étude ne permet d’anticiper un vote spécifique dans les quartiers populaires. On sait que l’abstention est moins forte aux présidentielles.
Et puis, il faut vraiment distinguer ce qui se passe au niveau local de l’échelle nationale. A l’échelle nationale, la banlieue n’est pas un enjeu politique : aucun candidat n’en a fait un sujet important de sa campagne, et les partis ne savent plus comment s’y prendre. Pourtant, à l’échelle des quartiers populaires, les préoccupations sont les mêmes qu’ailleurs : l’emploi, l’éducation, le pouvoir d’achat… Aujourd’hui, la véritable question, dans les quartiers populaires, n’est pas « pour qui voter ? ». C’est plutôt « pourquoi voter ? ».