Lyrics Mathilde Boudon-Lamraoui – Photo Nnoman

Amina Sboui s’est faite connaître du grand public peu après le printemps de jasmin en Tunisie. Militante activiste de la révolution, elle poste une photo d’elle seins nus sur les réseaux sociaux. Très vite, la machine médiatique s’emballe et le cliché crée la controverse dans le pays. Très soutenue par le mouvement polémique des FEMEN, Amina est arrêtée et emprisonnée par la suite, pour avoir tagué sur les murs d’un cimetière le nom du collectif féministe. Sous pression et menacée de mort par ses opposants en Tunisie, elle quitte son pays pour trouver refuge à Paris. Là, elle quitte le mouvement FEMEN et confie à la presse française qu’elle ne veut plus que son nom soit associé à un groupe politique dont les financements lui paraissent trop obscurs.

En juillet 2014, Amina poste des messages d’alerte depuis les réseaux sociaux. Elle affirme avoir été agressée et violentée par « un groupe de salafistes » à Paris. Quelques jours plus tard, le journal Libération publie une lettre ouverte rédigée par Amina qui révèle que l’agression était un mensonge. Amina n’a jamais été agressée et présente des excuses publiques auprès de ses soutiens pour ce qu’elle qualifie être « une très grande faute » qu’elle explique en partie par le contexte difficile de son départ des FEMEN et la précarité financière dans laquelle elle vit, à Paris. Suite à l’affaire de la fausse agression, Amina disparaît des radars médiatiques jusqu’à l’été 2015 et l’apparition des premiers camps de migrants à Paris auprès desquels elle s’implique activement.

Dotée d’une personnalité provocatrice, Amina est aussi une véritable activiste solidaire. Entre générosité et « vulgarité », courage et inconscience, nous avons tenté de décrypter ces contradictions (assumées ?) pour partir à la rencontre d’Amina et son autre combat.

Quand elle est revenue en Tunisie, après son séjour à Paris, elle n’a pas fait l’unanimité. Une pétition pour qu’elle quitte le quartier avait été signée. Huit-cent signatures pour dénoncer « les orgies de Sidi Bou Saïd ». Selon Amina, il s’agit d’une profonde homophobie. Elle n’a pas cédé et continue à vivre à Sidi Bou Saïd, village bourgeois du nord de Tunis, accompagnée des personnes homosexuelles et transgenres qu’elle héberge. Malgré les lettres de menace, les tentatives d’intrusion et les agressions, sa maison est devenue un refuge pour les personnes activistes LBGT qui se retrouvent à la rue, en raison de leur sexualité.

En 2013, la diffusion d’un cliché d’elle seins nus, sur les réseaux sociaux, l’a rendue célèbre dans le monde entier. Figure de la révolution tunisienne, elle s’est exposée, une inscription symbolique sur sa poitrine dénudée « Mon corps m’appartient et n’est un honneur pour personne ». Elle participe à plusieurs actions politiques sous le gouvernement de Ben Ali puis est finalement emprisonnée pour profanation d’un cimetière suite à un tag « Femen ». Ce collectif féministe a largement contribué à créer un élan de solidarité autour d’elle. L’histoire d’Amina fait le tour de la presse internationale et émeut l’opinion publique. Lors d’un rassemblement qui réclame la libération de la jeune tunisienne, trois militantes européennes des Femen sont elles aussi arrêtées pour attentat à la pudeur. Grâce à l’ampleur de la mobilisation internationale, les quatre jeunes femmes sont finalement libérées et Amina rêve de reprendre ses études. Sa vie, désormais mise en péril dans son pays, elle s’exile alors en France, à Paris. Elle évoque ses années dans la capitale française sans aucun regret de l’avoir quittée «Je n’aime pas l’Europe. Les gens courent partout. Les clopes sont hors de prix. Les pauvres dorment dehors et les animaux sont hébergés. Marche dans les rues en Tunisie, tu verras des chats dans la rue, pas des êtres humains. A Paris, j’ai hébergé des réfugiés qui dormaient dans des campements, dans la rue. Chez moi, il y avait des soudanais, des érythréens. J’en garde des souvenirs magnifiques. J’étais à Paris, avec eux, quand il y a eu l’attentat à Sousse. A ce moment-là, j’ai décidé de rentrer chez moi. » 

Chez elle, c’est une grande maison de Sidi-Bou-Saïd dans laquelle elle vit avec plusieurs colocataires, toutes et tous issus de la communauté LGBT. Les habitants du lieu s’unissent autour de l’activiste pour s’entraider. Deux jours après notre arrivée, des voisins les préviennent : la police est dores et déjà au courant que deux français séjournent chez elle. La bande en discute, argumente, blague et s’engueule. Au milieu de la conversation, Amina exhibe fièrement son tatouage à la main ;trois points qui signifient « Mort aux vaches ! ». Un dessin qui, dans le milieu anarchiste, se réclame de la résistance face à l’autorité policière. Un tatouage en hommage à ses mois passés en prison et à Georges Brassens, chanteur qu’elle adule.

Sous le soleil embrasé, Amina fume cigarette sur cigarette, devant son thé à la menthe. Le décor architectural traditionnel qu’offre Sidi Bou Saïd sublime son look, soigneusement négligé. Jeans troués, t-shirt rock and roll et le portrait de Yasser Arafat tatoué sur son bras bien en vue. Derrière de grandes lunettes, elle protège ses yeux des reflets de lumière qui viennent frapper les murs bleus et blancs du village. Fini le temps de l’exil, elle a trouvé à Sidi Bou Saïd son « paradis tunisien». A la mosquée, la jeune femme rend souvent visite aux gardiennes du mausolée . Située à deux pas du cimetière du village, sur les hauteurs du front de mer, deux vieilles femmes l’accueillent d’une tendre accolade. Amina les connaît bien. Le vendredi, elle participe à la préparation des repas destinés aux pauvres des environs. D’obédience soufie, le village est pieux. Elle, qui s’est toujours revendiquée athée, confesse avoir assisté à des scènes de transe soufie qui ont bouleversé son rapport à la spiritualité « Aujourd’hui, je me sens plus agnostique qu’athée ». C’est cet environnement serein qu’elle cherche à recréer chez elle. 

Quand la cuisine s’emplit peu à peu de l’odeur du « lablabi » (préparation à base de pois chiches, d’huile d’olive et d’oeufs), ses colocataires discutent dans la chambre, plongés dans la pénombre. Sur le lit deux places, au milieu des peluches et des trousses de maquillage, tout le monde s’apprête pour passer la soirée en ville. Sofia, une amie d’enfance d’Amina, se dévoile « Je suis née et j’ai grandi garçon dans une petite ville avant de devenir un homme homosexuel travesti puis finalement une femme transexuelle. J’ai toujours ressemblé à une femme, j’ai toujours suscité l’attention des hommes, même quand j’étais un homme. A cette époque là, ma famille m’a emmenée voir un psychiatre mais j’étais déterminée’ à devenir une femme. ». Comme Amina, Sophia milite au sein de l’association «Shams», la première association de défense des personnes homosexuelles et transgenres, revendiquée, en Tunisie. 

L’ancienne Femen a rejoint l’association en 2016, quelques semaines après être devenue la première femme tunisienne qui ait fait son coming-out dans les médias. Sur la chaîne de télévision Attessia TV, elle s’y est déclarée ouvertement bi-sexuelle. Les retombées de l’opinion publique ne se font pas attendre. « C’est normal, c’est un sujet dont la société n’avait jamais parlé avant, ça crée des réactions clivantes. » A la fin de l’année 2015, six étudiants de Kairouan sont arrêtés puis condamnés à trois ans de prison ferme pour « pratiques homosexuelles ». Shams monte au créneau « Dans le cas des étudiants, on a affiché publiquement le médecin qui avait pratiqué ce test (son nom et sa photo sur les réseaux sociaux). Il a été dénoncé fermement par ses confrères. Les médecins ne le pratiquent presque plus, ils ont trop peur, ils savent qu’on est prêt à tout.».

Auprès de l’association, Amina incarne désormais la lutte pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transgenres. Militante assidue de Shams, elle nous invite à une journée de formation organisée par l’association. Nous y découvrons une militante féministe méticuleuse. Derrière sa gouaille et son attitude qui paraît provocatrice , la jeune fille s’y exprime calmement et avec beaucoup de clarté quand elle théorise les mécanismes de domination des sociétés patriarcales « Je pense que les mecs gays souffrent plus. Aux yeux d’une partie de la population tunisienne, une femme trans, ce n’est qu’un mec qui veut devenir une femme, soit une personne déséquilibrée. Mais un mec qui veut rester mec et aimer un autre homme est une personne dangereuse. Les lesbiennes souffrent moins car dans une société patriarcale, on adore que les femmes se comportent comme les hommes, c’est même honoré. ». 

Suite à son incarcération, elle retrace les récits de ses co-détenues « J’ai rencontré des journalistes de la BBC quand ils étaient en Tunisie pour faire un reportage sur les crimes d’honneur. Je leur ai présenté une femme avec laquelle j’étais emprisonnée. Elle était enfermée car elle a tué un mec qui lui faisait du chantage, car ils avaient fait l’amour avant le mariage. ». Une rencontre qui a poussé la BBC à faire entrer Amina dans la liste des 100 femmes les plus influentes du monde. Quand elle déambule dans les rues de Tunis, des regards parfois désapprobateurs la dévisagent et en passant devant un groupe de lycéennes, des exclamations de joie se font entendre. Des réactions très tranchées « Je pense que les plus jeunes sont inspirées par mes actions. J’ai l’impression que ça se passe partout dans le monde, avec les artistes que j’appelle « teen adults », comme Katie Perry ou Miley Cyrus. Les jeunes voient ces femmes sur youtube puis nous croisent nous, activistes, dans la rue et forcément, nous identifient à elles. Je pense par exemple que Beyoncé a fait énormément de choses pour le mouvement féministe et pour l’éducation des filles en général. Personnellement, je n’aime pas les féministes qui la critiquent. Si je n’adhère pas à des actions entreprises par des féministes, je ne les dénoncerai jamais. Ce n’est pas ma stratégie. Je n’aurai jamais la prétention de dire qu’une femme se trompe de mode d’action et dans le cas de Beyoncé, le reproche principal qu’on lui fait est de faire du féminisme une marchandise. Mais quelle femme revendique ses droits pour gagner de l’argent ? ». 

Amina Sboui est autant une activiste qu’une penseuse « La lutte féministe, je ne l’envisage pas hors de la lutte pour les droits des LGBT ni de la lutte antiraciste. Nous, opprimés du monde, devons nous rassembler. Le but du féminisme c’est chercher l’égalité, non ? L’égalité entre toutes les personnes du monde. En Tunisie, on travaille toutes ensemble, nous ne sommes pas divisées comme j’ai pu le constater dans les mouvements féministes français. Chez nous, on peut aller loin dans les réunions en interne mais dès qu’on sort dans la rue, qu’on parle aux médias, qu’on rédige des rapports, on met nos divisions de côté immédiatement. La société patriarcale est notre ennemie, ce serait lui faire un cadeau que d’exposer nos luttes internes. A mon avis, les femmes françaises en général et les féministes en particulier sont très fières des combats passés, du coup elles perdent du temps à s’insulter aujourd’hui. Elles ont oublié qu’il suffit d’un seul homme pour que nos acquis disparaissent. »