Lyrics : Kayz Loum (à La Réunion)

 

Dans le sillon des Gilets Jaunes, l’île de la Réunion subit depuis plusieurs jours des blocages, dans un climat abrupt. Le ras-le-bol social s’est emparé de ce petit bout de France abritant 860 000 habitant.e.s, situé à plus de 10 000 kilomètres de la métropole, et fruit d’une crise bien plus profonde. Incontournable DJ de la scène marseillaise avec le groupe Chiens de Paille, Original Mesk s’est installé à La Réunion en famille il y a 2 ans, pour y monter une boutique de créations de vêtements et d’accessoires. Rencontre coup de poing. 

 

Toi qui vit sur l’île, quelle est ta lecture sur l’embrasement d’un mouvement censé être pacifique et revendicatif ?  

Original Mesk : Effectivement le mouvement « Gilet jaune » est censé être pacifique et revendicatif, mais sans véritable organisation, ce qui peut créer un climat que l’on pourrait qualifier “d’anarchie“, que cela soit en métropole ou ici à La Réunion. De ce fait et comme souvent dans ce genre de climat social, cela suscite des mouvements qui se greffent au mouvement initial même si les revendications et/ou actions ne sont pas les mêmes. Aujourd’hui nous avons dépassé les revendications des “GJ“ et le mouvement se veut pour le peuple Réunionnais.

Cet embrasement était quelque part prévisible : il couve depuis longtemps à La Réunion et il y a eu des précédents (1991, 2012), pour des raisons profondes qui datent et qui n’ont jamais été solutionnées, ou à peine atténuées, avec des promesses politique qui ne voient jamais le jour … Ou alors sous perfusion d’aides de l’état, contrats aidés, etc., de l’assistanat valable à très court terme, exactement la même chose qu’en métropole majoritairement en banlieue, mais sans tenir compte de la réalité culturelle et sociale de l’île.

Pour différentes raisons, inégalités, et à la base même l’histoire, il peut y avoir du mal à se sentir véritablement « Français », et cela malgré le fait que La Réunion “regarde“ vers la métropole, il y a un énorme écart de traitement. Ce qui est d’ailleurs valable pour l’ensemble des D.O.M. (ndlr : Département d’Outre-Mer). Ces raisons sont avant tout sociales, ce sont des cris à l’égalité, dans un territoire qui je le rappelle est un département français avec tout ce que cela implique (Législation européenne, taxes d’octroi de mer, territoire d’import, prix plus élevé, revenus moindre, monopole commerciaux, bouleversement culturelle, assistanat, inégalité d’embauches et de salaire, foncier inaccessible, expatriés en masse…). 

Pour ce qui est de la violence, il y a forcément une partie d’actes vandales, mais cette violence est avant tout une réponse, une conséquence et non pas une cause !

Nous savons également que de nos jours c’est en partie orchestré/manœuvré par le pouvoir politique, nous le constatons encore plus aujourd’hui. Il y a eu une volonté de diviser le peuple et que chacun se liguent les uns contre les autres : et non manifestant contre manifestant, manifestant contre délinquant, délinquant contre peuple …

 

Quelles sont pour toi les éléments déclencheurs d’une telle situation de tension ?  

Original Mesk : Les éléments déclencheurs ont été des “messages“ forts envoyés par le pouvoir politique : qui ne sont ni plus ni moins que des preuves d’irrespect et de non-écoute.

Dès le début des évènements, silence total de nos “responsables politiques“, aucune communication, aucun dialogue. Préfet qui au dernier moment, après l’avoir accordé, ne vient pas au rendez-vous fixé avec les “GJ“ et envoie un sbire à sa place. Ils laissent s’installer une certaine “délinquance“ alors qu’il était très facile de l’endiguer dès le début, mais les forces de l’ordre ne font rien, même en se trouvant à 50m d’actes de violences. Le Préfet instaure un couvre-feu. Demande est faite à la métropole pour des renforts militaire (les premiers arrivent de Mayotte). Fermeture de l’aéroport, les écoles, collèges, lycées et fac sont fermés. Ainsi que la majorité des commerces.

Le couvre-feu ‘soit-disant’ instauré pour la sécurité de chacun et afin que les forces de l’ordre puissent se focaliser sur les actes de vandalisme est en fait un faux prétexte, il a servi à faire des convois de nuits pour le réapprovisionnement des stations essence et supermarché, encadré par les renforts militaires. Alors que les mouvements sont censés bloquer justement ces premiers acteurs de la vie chère ! Donc le climat est installé. Le peuple est en partie divisé mais s’organise. Le peuple se rend compte également de la manipulation et du dédain des élus politiques. Il y a déjà ce constat en métropole que le gouvernement est complètement déconnecté de la réalité et du peuple, alors imagine l’écart avec La Réunion ou les DOM !

 

En tant que commerçant, comment as-tu accueilli l’arrêté préfectoral exigeant un couvre-feu dès 17h ?

Original Mesk : Personnellement mon commerce n’est pas directement impacté par le couvre-feu car c’est un commerce de jour, sauf que je suis fermé depuis bientôt une semaine, comme la majorité des commerçants. Quoi qu’il en soit, l’île est complètement paralysée et bloquée, les commerces ne peuvent pas fonctionner, sauf l’alimentaire pour ceux qui ont encore du stock.

Le couvre-feu impacte directement les établissements de nuit et les restaurants. Mais de toute manière, il n’y a plus grand chose dans les frigos … Personnellement je ne vends rien de “vital“, sinon arrêté préfectoral ou pas, j’aurais ouvert. Des commerçants, restaurateurs, pharmaciens s’organisent pour apporter de la solidarité à ceux qui n’ont plus rien : les personnes âgées sont souvent isolées, les personnes sous traitement médical, beaucoup de maman sans lait, couches etc. J’ai personnellement lancé un appel et je ne suis pas le seul, aux producteurs/agriculteurs pour qu’ils viennent vendre leurs productions dans les barrages et embouteillages, afin que cela serve à chacun. Cela peut également retisser un lien social entre contents et mécontents. Ca se met en place … Après, il nous faudra voir, nous, professionnels et commerçants, comment l’état compte faire pour indemniser, car certains sont en très grande difficultés, certains vont mettre la clef sous la porte. Bien évidemment les grands groupes, sociétés, administrations auront leurs avantages, il va falloir voir comment on fait pour les PME, les artisans, les indépendants. C’est encore un autre combat.

 

Comment expliques-tu l’écart de traitement médiatique national et régional ?

Original Mesk : Je crois que l’on sait tous, ou du moins nous nous doutons bien, que les médias ne sont pas là pour informer dans le bon sens du terme. Et comme disait Public Enemy “Don’t Believe the Hype“. Outil de propagande mais aujourd’hui à la botte du pouvoir ou de lobbys. Donc on minimise ce qui pourrait donner des idées à certains ou créer une solidarité et on focalise sur les actes de conséquence (violence, dégradations et.) afin de décrédibiliser le mouvement ou l’action menée. Depuis le couvre-feu, nous avons énormément de mal à communiquer sur Facebook par exemple, difficultés à trouver de l’information, Facebook ne publie pas les “lives“, certains commentaires sont “grisés“ et non visibles. Les médias locaux ont eu pour consigne de ne pas faire de libre antenne, ou de ne pas diffuser certaines informations. Je me suis rendu compte que les médias en métropole n’ont pas parlé du mouvement à La Réunion, mais ça c’est habituel, ce qui montre encore l’intérêt de la France pour ses D.O.M : ils ont commencé à en parler à partir de la demande de renfort militaire et du couvre-feu. Comme à l’accoutumée, on parle des D.O.M uniquement pour le folklore ou lorsqu’un politique vient nous voir pour prendre des voix.

 

Quelle est ta vision sur le comportement des forces de l’ordre durant ces journées de couvre-feu ? 

Original Mesk : Je ne sais pas quels ont été leurs ordres, mais il y a eu beaucoup de cas de dégradations, racket, descente en centre-ville de petits groupes de jeunes, avec des forces de l’ordre présentes, mais qui ne font strictement rien ! Ce qui fait qu’une partie du peuple est d’accord avec la méthode forte et les renforts, alors que d’autres savent que cela ne peut être que l’escalade de la violence.

De ce que je vois, les forces de l’ordre ont été dépassées, comme si elles n’étaient pas au courant de ce qui pouvait se passer. Ou alors c’est une volonté de laisser faire pour ensuite légitimer l’usage de la force.

En journée elles incitent et/ou forcent les petits commerçants (épicerie, légumier) à fermer, leur prétextant que c’est pour leur sécurité, alors que le mouvement se veut de faire travailler les petits indépendants à l’instar des grandes surfaces. La nuit c’est plus dur, comme d’habitude et sous-couvert de l’interdiction de sortie, il ne fait pas bon d’être isolé et tomber sur une brigade BAC ou autre. Encore une fois, le climat installé avec le couvre-feu et les renforts fait que de chaque côté c’est un peu « tout est permis ».

Quoi qu’il en soit, je ne peux pas dire que les forces de l’ordre se sont “rapprochées“ de la population ou des revendications de peuple.

 

Quelle issue espères-tu à cette situation de tension sociale ? 

Original Mesk : L’issue, je l’espère la plus rapide possible, pour l’ensemble du peuple. Mais l’issue est obstruée par des politiques locaux et nationaux qui ne feront jamais l’aveux de leur responsabilités, erreurs etc. Ils vont simplement encore proposer et donner un assistanat financier qui apaisera mais qui ne réglera pas le fond du problème. A savoir le Néo-colonialisme ! A nous également d’essayer de changer le mode de consommation que l’on nous a imposer, à nous d’élever nos enfants en leur transmettant ce que nous pensons et voulons, ne pas laisser les médias/tv leurs faire croire qu’ils ont besoin d’autres choses et surtout de matériel. Ce n’est pas utopiste mais compliqué. Egalité d’embauche et de salaire, formations professionnelles pour la jeunesse en adéquation avec la réalité économique et géographique. Suppression de l’octroi de mer, contrôle et régularisation des prix (fin des monopoles de sociétés, famille), politique avec une vision tournée vers nos voisins de l’océan indien, de l’Afrique, incohérence totale de dépendre de législations européennes ici sous les tropiques. Pas besoin d’importer des produits que nous pouvons produire nous-même …