« Centres sociaux, maisons de quartiers, foyers d’hébergement, … autant de lieux du vivre-ensemble mis en péril par le confinement généralisé de la population. Les professionnels qui y travaillent s’engagent aujourd’hui en faveur des personnes en situation de vulnérabilité. Formés aux pratiques de l’éducation populaire, ces animateurs socio-culturels suivent des parcours diplômant qui les sensibilisent aux thématiques sociétales actuelles.
Le GRETA M2S, organisme de formation des adultes de l’éducation nationale, a tenu à associer Fumigène à ses équipes. Sous la coordination de Yazid Sayoud, responsable de formation et militant, notre magazine participe donc depuis plusieurs mois aux parcours de ces stagiaires.
Autour d’un projet collectif d’envergure, nous avons mené des ateliers d’éducation populaire aux médias. Objectif : Partager nos expériences et compétences avec ces futur.e.s responsables de structures pour les aider à faire face aux enjeux de l’information et accompagner les publics qu’ils côtoient.
Tout au long de la semaine, Kader, Aminata, Estelle, Victoria, Greg, … et les autres partageront avec vous leurs récits du confinement. Un énorme big up à ces engagé.e.s de la première ligne qui consacrent leurs quotidiens aux habitants et habitantes des quartiers populaires ! »
LE JOURNAL DE VICTORIA
Je m’appelle . J’ai 28 ans. J’habite dans le 93, à Montreuil. J’habite avec mon mari, Mehdi.
Vendredi 13 mars 2020, J -3
Cette journée était normale, je suis allée sur mon lieu de stage, un centre social près de la à Paris. Journée basique ou presque. Jusqu’à ce que j’apprenne que les rassemblements de 100 personnes seraient interdits… Je dois me marier dans quelques jours. Ce soir là, j’avais prévu mon enterrement de vie de jeune fille. Avec mes amies, nous sommes sorties à et on a passé une bonne soirée malgré la tristesse et le stress de devoir annuler mon mariage. Fichue restriction …
En rentrant, je me sens triste car mon chéri me manque … Il est parti au Maroc avec sa mère.
Samedi 14 mars 2020, J-2
Je n’ai rien de spécial à faire. J’attends mon mari, je fais le . Le temps passe lentement… les frontières se ferment petit à petit. Quand vais je pouvoir le revoir ? La télé n’est pas rassurante. Je me force à ne pas trop la regarder. C’est difficile. Le temps passe lentement. Je pleure. Puis je tente de me calmer. Ce soir là, Mehdi m’écrit. Il a eu un avion. Je saute de joie. Je vais enfin pouvoir le retrouver. Je traîne en pyjama sous mon plaid en l’attendant.
Le 15 mars 2020, J-1
Mehdi rentre ce matin là. Son périple a été long. Il a dû passer par Bruxelles. Il m’explique qu’il n’est pas sorti de l’aéroport depuis deux jours. Il est épuisé. Je suis contente de pouvoir être confinée avec lui. On annule à demi mot notre mariage… les rassemblements de cent personnes sont définitivement annulés.
Lundi 16 mars 2020. Jour J
C’est bon, la France est en confinement. Je ne réalise pas trop. Le matin, je suis passée récupérer mes affaires au centre social. Je me demande comment va faire le public de notre structure… Les familles, les personnes âgées et les personnes seules. Je pense aux familles de mon secteur, je m’inquiète pour elles. Le centre social est le seul espace de socialisation et l’unique raison de sortir pour certains. Je pense aux petits vieux qui viennent juste pour nous parler. Et aussi aux sans-abris qui récupèrent des cartes solidaires pour leurs repas. On est vraiment comme leurs familles. J’espère que tout se passe bien chez elles. Il y a aussi P. Lui, il est skyzophrène. J’espère qu’il arrive à gérer. J’ai peur pour lui.
Quant à moi, je réalise que je vais faire partie de la team pyjama durant tout le confinement.
Jeudi 19 mars 2020. Jour 3
C’est mon anniversaire ! Youpi… 29 ans et en confinement. Super ça rime ! Alors là, grosse déception de ne pas aller pouvoir manger des tonnes de sushis dehors et me balader avec mon mari.
Samedi 21 mars 2020, Jour 5
C’est le jour de notre mariage. Je suis triste. Mehdi aussi. C’est une journée difficile pour nous. On va devoir faire le deuil, faire le deuil de ce jour que j’ai préparé pendant un an. Ma famille m’appelle. Je n’ai pas la force de décrocher.Je n’ai la force de rien… On va devoir tout reprogrammer et les interlocuteurs de la salle ne sont pas arrangeants.Tout me gave …
Jeudi 26 mars 2020, Jour 10
On commence à « s’habituer » au fait de ne pas pouvoir sortir. On profite de la vue du balcon. Je commence à réfléchir à ma vie: ce que j’ai fait, ce que je n’ai pas fait et ce que je veux faire. Je pense à ma famille biologique. Je me demande ce qui se serait passé si j’étais restée au , comment aurait été le confinement la bas. Comment peut on abandonner un enfant par peur du regard des gens ? Je pense aussi à ma soeur qui continue de bosser avec les personnes âgées. Ma famille me manque. Nous habitons en HLM dans un 28m2, une seule pièce en guise de salon et de chambre. Les voisins sont insupportables. J’ai l’impression de vivre chez eux. Ça me tape sur le système.
Vendredi 3 avril, Jour 17
Une petite routine s’est installée. C’est plutôt rassurant dans cette période anxiogène. J’ai tellement peur pour ma formation. J’ai peur de tout louper. J’ai peur d’être pénalisée à cause de ce virus de merde. Ils viennent de dire à la télé ça risque d’aller au delà du 15 avril. Ça commence à faire long, car on respecte à la lettre le confinement. Aucunes sorties inutiles sauf pour aller aux courses, et sortir les poubelles. Le rituel : pyjama, télétravail, manger . Puis ça y est, Netflix est installé.