Lyrics : Raphäl Yem – Photo : Loïc Jouan
Nous apprenons avec tristesse le décès de Maurice Rajsfus. Il se présentait comme historien de la répression, et documentait depuis des dizaines d’années les violences policières, et rencontrait inlassablement les jeunes dans les quartiers populaires pour raconter son histoire. Raflé par la police française quand il était gamin, il portait l’étoile jaune parce que Juif. Plus tard, il s’engageait pour l’Indépendance en Algérie, traumatisé aussi par Octobre 1961, après quoi il publia de nombreux ouvrages et rapports pour dénoncer les bavures. Peu habitué des médias, il nous avait pourtant invité chez lui dans son humble pavillon de banlieue, pour prendre le thé et visiter sa vertigineuse bibliothèque débordante de coupures de presse. Il redoutait que personne après lui ne prenne la relève de sa mission de curation. Nous sommes certains qu’il aurait était fier de la manifestation d’hier, tout comme il admirait le courage et la dignité des collectifs de soutien et les familles des victimes de violences policières. Il s’est éteint le même jour, à 92 ans, comme pour passer le relai. Paix à son âme, pensées pour ses proches. Voici la retranscription de notre entretien, paru en 2010.
Comment caractérises-tu les relations entre les habitants des quartiers populaires et la police ?
Elles sont très dures. J’ai été à plusieurs reprises à La Courneuve pour parler avec des jeunes de la cité des 4000 des événements d’octobre 61. A chaque fois, il y avait peu de jeunes, surtout des mamans. Elles nous racontaient, toute la journée les fourgons de police qui passent dans les cités, qui insultent les jeunes, qui les poussent à bout, et quand ça ne marche pas, ils insultent la maman jusqu’à ce que les mômes prennent feu. Faut pas s’étonner quand ils reviennent la nuit s’ils prennent des pavés sur la voiture. Il y a une volonté, quand on contrôle un gamin, qu’on connaît, 10 fois par jour, on sait qu’ils font ça pour qu’il ait la rage. Il y a cette volonté de rendre les banlieues sensibles. Si le pouvoir actuel n’a plus cet argument vis-à-vis de l’électorat Si on n’était pas là vous ne seriez plus en sécurité », il perdrait des voix, donc il faut que la population se sente constamment en situation d’insécurité.
Tu connais des banlieusards qui se sentent en sécurité en présence de la police…
Il n’y a jamais de « embrassons-nous », ça n’existe pas. La police n’est pas vraiment appréciée, sauf quand les gens sont au pouvoir. Je voudrais rappeler un truc, ce n’est pas très vieux, cela remonte aux Athéniens à l’époque de Périclès ; c’est rappelé par Engels dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat. Il dit que la profession de policier paraissait tellement déshonorante qu’elle été confiée à des esclaves et que les Athéniens préféraient se faire alpaguer par un esclave que par un concitoyen. Je crois que ça n’a pas beaucoup changé ; il y a une méfiance du citoyen ordinaire vis-à-vis de la police. Même si on n’est pas coupable, même si on n’a rien à craindre, il y a toujours cette difficulté, qui vient de la police. Je n’aurais de cesse de dire que non seulement ils ont du pouvoir et maintenant ils voudraient avoir des droits … Ce qui est extraordinaire, c’est qu’ils ont des droits et n’ont pas de devoirs. C’est une contre société qui considère qu’elle est tutrice de l’en-semble de la population. Quand la police parle de l’institution policière, ils ne disent pas « la police », ils disent « chez nous ». C’est-à-dire que, nous, on n’est pas chez eux. Ça vient d’eux-mêmes, ça vient également de l’éducation dans les écoles de police, qui dure 1 an maintenant. Il ne faut jamais oublier que, après la Libération, l’école de police durait 3 semaines-1 mois ; on engageait des policiers au niveau du certificat d’étude, ils connaissaient les 4 règles d’opération et quelques règles de pratique et ils étaient bons à aller dans la rue. Maintenant, ils font 1 an d’école de police et ils sont bacheliers … et ils sont tout aussi brutaux sinon plus qu’avant, tout aussi injurieux, sexistes, sans volonté de contact avec la population.
Comment faire pour que cela s’améliore ?
La réponse est toute simple qu’il y ait moins de police. Quand il y a moins de police, il se passe moins d’événements déplaisants. Il y a en France une police trop nombreuse qui dispose de trop de pouvoirs et je crois que beaucoup d’incidents viennent de là.
Tes relations tendues avec les forces de l’ordre ne datent pas d’aujourd’hui… Personnellement, avec tout ce que j’ai fait, par écrit, par la parole, on me demande souvent, alors que depuis 1980 je publie des bouquins, je parle beaucoup de la police, du rôle de la police sous l’occupation, que j’ai édité 140 numéro du bulletin Que fait la police ? avec les bavures chaque mois (le bulletin est sur Internet maintenant, ndr), « comment se fait-il qu’il ne te soit jamais rien arrivé, que tu n’aies pas été convoqué dans un commissariat ? ». Les rares fois où j’ai eu un problème, c’était avec des policiers à titre individuel. Sur le plan de l’autorité, jamais. Je pense que c’est dû à cette « petite chose », c’est dû à mon passé. Mes premiers contacts avec la police datent du moment où … c’est les policiers français qui m’ont donné cette étoile jaune ; ce n’est pas les Nazis, ça date de cette époque où j’ai été raflé par les flics le 16 juillet 1942. Je crois qu’ils pensent que ça ne serait pas bon pour leur image de s’attaquer à un garçon que les « anciens » ont raflé en 42, dont les parents ne sont pas revenus, et qui a le cran maintenant d’être aux cotés de ceux qui sont persécutés, les gens qui sont un peu moins blanc que la moyenne des français. Je crois que ce n’est pas inutile, j’en use et ils savent très bien que s’ils s’en prenaient à moi, ça ferait un tâté général et qu’ils n’ont pas intérêt. En plus, je suis dans la légalité, je ne travaille qu’à base d’informations qui passent par la presse …