Lyrics Samia Chiki – Photos NnoMan

La façade de ce bâtiment est devenue emblématique, elle a été peinte par des artistes marseillais de couleurs vives, bleu, rose et violet. Des peintures de récupération du chantier de la L2 ont servi à réaliser cette impressionnante fresque murale qui fait l’identité visuelle de l’Après M. La vue est dégagée, on l’aperçoit de loin, impossible de la rater.

L’entre soi est inexistant à l’Après M, aucune personne n’entre sans être remarquée, vous y êtes chaleureusement accueilli. Bien loin de l’accueil commercial que l’on vous réserve à l’entrée d’une boutique, c’est un «  bienvenue ! » personnalisé, dédié à chaque personne. L’impression d’accéder à un lieu où vous vous sentez comme une personne à part entière.

Ici vous comptez, vous ne passez pas inaperçu, qui que vous soyez, l’accueil que l’on vous réserve est le même pour tous.

D’une lutte sociale naît les solidarités

« Ce n’est pas juste comme certains le disent,  un laboratoire d’idées » pour Salim Gabsi, il s’agit d’une plateforme collaborative qui est le fruit de l’effort collectif.

Salim est membre du Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille et un des fondateurs de l’Après M. C’est spontanément qu’il se met à faire le récit des origines de ce lieu couvert par la presse internationale, de Forbes au NewYork Times. C’est la fierté non pas d’un aboutissement, mais du commencement.

Ce lieu entre à présent, dans le patrimoine historique des luttes sociales et bien plus encore, car il semble être une inspiration, un modèle au-delà du cadre humanitaire et social qu’il a investi.

Le jour de notre reportage, nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser à ce lieu, deux étudiants en urbanisme de Science Po sont présents et s’intéressent à l’ancrage de ce lieu dans la politique urbaine. Ils sont tout autant captivés par la présentation qui de leur côté est faite par Sylvain, le responsable communication de l’Après M.

Salim nous rappelle que ce lieu était le premier restaurant de la chaîne de fast-food à Marseille. Il a ouvert ses portes en 1982 sur l’artère emblématique, la Canebière. En 2009, ce restaurant est au cœur d’un espace de rénovation urbaine de grande ampleur d’un budget de 134 milliards d’euros.

Ce fast-food de Marseille est le plus syndiqué de la chaîne en France. Ce n’est peut-être pas ce à quoi aspirait, Stéphane Gattat, président de Mc Do France qui lors de son inauguration il y a 38 ans émettait le souhait qu’il « s’intègre à la communauté marseillaise ».

Le 12 décembre 2019 marquera la fin de l’activité du restaurant, 100 emplois sont concernés, les salariés ayant de 20 à 30 ans d’ancienneté. Leur mobilisation de près d’une année ne sera pas vaine, ils seront indemnisés, 2,5 millions leur seront reversés, seul le gérant Kamel est encore aujourd’hui salarié de l’enseigne.

En mars 2020, la crise sanitaire aggrave les difficultés rencontrées par la population des quartiers, la précarité augmente, il y a urgence à leur venir en aide. De là, naît l’idée d’organiser des actions humanitaires au sein de l’établissement.

Une demande de mise à disposition des locaux est adressée à Mc Do France, le liquidateur judiciaire donnera son accord et pourtant le 7 avril, c’est un refus du siège qu’ils recevront.

Loin de s’en tenir à cette réponse qu’ils considèrent comme une énième injustice, ils ne se résignent pas et s’organisent. Ils mettent progressivement les choses en place et prennent possession des lieux.

De deux associations et deux quartiers concernés par l’élan de solidarité, ils passent en quelques mois à 52 associations pour 60 quartiers, plus de 3500 colis par semaine et tout cela « sans aides des pouvoirs publics » nous annonce Salim.

Il n’y a aucun monopole d’une association quel qu’elle soit, toutes contribuent à l’organisation des actions et chacune d’elle a un référent auprès de l’Après M.

Nous rencontrons un de ces dirigeants associatifs et pas des moindres, Kamel Guemari, un des fondateurs, nous le présente avec admiration « Ce monsieur est une étoile, il sort tout juste de l’hôpital, vous allez voir ». Il est devenu une figure incontournable de l’Après M, Lakhdar, président de l’Association «  Les maraudes du cœur » vient de Vitrolles. Il commence par mettre à disposition de la plateforme, du matériel dont des réfrigérateurs et une aide aux collectes durant le premier confinement.

Salim Gabsi est membre du Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille et un des fondateurs de l’Après M.

Kamel Guemari, un des fondateurs de l’après M.

Les repas des maraudes sont cuisinés par les bénévoles, se sont plus de 300 à 400 personnes qui en bénéficient chaque jeudi soir à la Gare Saint Charles de Marseille : «Je viens de Vitrolles, cette misère je ne la voyais pas, en allant à Maison Blanche, j’ai constaté une misère terrible dans les quartiers ».Le confinement terminé, il est resté afin de poursuivre à leurs côtés ses actions humanitaires.

L’Inauguration temporaire de l’Après M aura lieu plus tard, le 19 décembre 2020, ce restaurant devient officiellement le symbole du monde d’après, le fruit d’une lutte et de la convergence d’initiatives, au slogan « Venez comme vous êtes, solidaires ».

Une ruche insoupçonnée

Tout au long de notre présence, les allers et venues sont incessantes, une véritable ruche, les bénévoles s’activent, parmi eux Djamel. Ce dernier, nous confie être soutenu depuis plusieurs semaines par l’Après M, à son tour il prête chaque jour main forte et conduit le camion servant à la collecte alimentaire et à la distribution des repas lors des maraudes. Ce jour-là, il est accompagné par Samia, elle se charge de toute la logistique, de récupérer les dons alimentaires, les apporter en cuisine pour la distribution du jeudi soir et des colis alimentaires.

Cette plateforme solidaire d’entraide a permis aux bénéficiaires et bénévoles de tisser du lien, un véritable pôle social s’est mis en place grâce à une intelligence collective. Les étudiants n’ont pas été oubliés, avant la crise du Covid-19 on estimait que 20% des étudiants vivaient sous le seuil de pauvreté, les chiffres ont explosé ces derniers mois, « 4000 étudiants ont bénéficié d’aides alimentaires et ce n’est que le début, nous ne pouvons pas les oublier. » nous confie Salim.

« Nous continuons à interpeller les pouvoirs publics chaque jour, le 11 mai nous avons lancé « L’appel des oubliés » et chaque jour nous alertons, la semaine dernière nous avons reçu la visite du Maire, Benoît Payan, il a été à l’écoute, nous verrons. Quoiqu’il arrive nous sommes là et toujours confiants. »

Le terreau fertile des idées

L’Après M est sans aucun doute un terreau fertile qui au-delà de fédérer autour des actions, donne naissance à de nouveaux projets.

C’est ici que naît l’association «  Le Sel de la vie », créée le 14 juillet 2020 par des enseignants et membres de la communauté éducative, Salim Grabsi en est le vice-président. Elle regroupe 50 structures associatives qui œuvrent dans 47 quartiers de la ville de Marseille dans des domaines très variés, du médical en passant par l’éducation, l’environnement. L’objectif premier étant de mettre les jeunes au cœur des préoccupations et des actions notamment par l’éducation au sport et l’accompagnement des élèves des quartiers.

Chaque mercredi après-midi des activités sont organisées à destination des enfants, le jour de notre reportage nous assistons à un atelier d’écriture de slam/rap encadré par Thomas, de son nom d’artiste « Alteros » : « Aujourd’hui je les initie à l’écriture en utilisant des métaphores, ils découvrent des techniques pour produire à leur tour des textes ». Sur une table juste derrière sont soigneusement exposés de magnifiques légumes du jardin, les enfants apprendront à les éplucher, les préparer pour la cuisine, ils découvrent et contribuent à leur tour à la chaîne de solidarité.

Parmi les petites abeilles de cette ruche, il y a Yazid Bendaîf, le jardinage, les légumes, les plantes et tout ce qui a trait à la nature c’est auprès de lui qu’il faudra s’adresser.

Il a investi les petites parcelles autour de l’Après M et a commencé par y planter des arbres fruitiers. Yazid et son épouse Samia sont passionnés par le jardinage depuis de nombreuses années, ils résident à proximité, au cœur de la cité SNCF : « Nous cultivons un petit jardin partagé de 35mètres carrés, nous sommes aujourd’hui autosuffisants, nous voulons transmettre cet amour de la terre qui crée du lien ».

Yazid Bendaîf, dans son jardin, au coeur des quartiers nords.

Samia quant à elle, nous montre les photos de ses expériences botaniques  «  j’ai un véritable petit laboratoire, je teste et je regarde ce qui fonctionne, je viens de planter de nouvelles salades, je suis contente elles ont l’air croquantes ».Ils ont créé une association « Terres de partage », ils aiment transmettre et ont naturellement proposé leur aide : « l’Après M c’est le tronc de l’arbre, nous sommes une de ses branches. Nous mettrons en place des carrés pédagogiques afin d’initier les plus jeunes Nous voulons de la convivialité dans nos cités par les plantes, dans les cœurs et dans les têtes.»

 

Samia, «  j’ai un véritable petit laboratoire, je teste et je regarde ce qui fonctionne, je viens de planter de nouvelles salades, je suis contente elles ont l’air croquantes »

Fini la « mal-bouffe » , cuisine saine en avant !

Kamel Guémari , l’ancien directeur adjoint et un des piliers de l’Après M nous invite en cuisine, « Venez voir ce qui se prépare ! ». Le cœur du restaurant social dégage une agréable odeur, Clément, bénévole en cuisine nous accueille avec un grand sourire ! Il est aux fourneaux en pleine préparation de galettes de légumes, il teste la recette pour la première fois, il semble satisfait du résultat : « Donnez-moi votre avis, c’est assez cuit ? », constat sans appel, non seulement c’est délicieux mais sain, Kamel nous rappelle que l’objectif est de « cuisiner avec du 100% BIO et local ! ».

Vous rappelez-vous de ces légumes de l’atelier ? Les galettes ont été cuisinées par Clément à partir de leurs feuilles et des fanes de carottes, elles seront certainement au menu des futurs burgers bio servis dans le projet du restaurant social « Ce sont des farsou, une recette paysanne originaire de l’Aveyron avec les feuilles des légumes, des fânes, des orties, des œufs et de la farine BIO »

Clément a rejoint l’établissement il y a plusieurs mois. Il n’est pas issu des quartiers ni même de Marseille mais il tenait à venir apporter son aide « Ce que je vis et ressens ici est extraordinaire et indescriptible, on m’a accueilli les bras ouverts ».

Un projet d’avenir inédit

L’Après M fonctionne en circuit court, du statut associatif il deviendra sous peu une entreprise sociale réfléchie et fondée avec les anciens salariés et tous ceux qui veulent contribuer à améliorer les conditions de vie d’autrui. C’est dans l’attente que Mc Do France cède ses murs, que la création d’une SCIC(Société Coopérative d’Intérêt Collectif) se construit progressivement.

Un modèle qui respecte en tout point les « process » du développement durable, où le respect de l’environnement se construit en accord avec tout ce qui favorisera l’épanouissement de l’être humain.

Nous interrogeons alors Kamel sur ce que, finalement on ne sait pas accomplir à l’Après M , tant les compétences sont nombreuses, « Nous ne savons pas mentir, nous ne savons pas voler, nous sommes là pour réfléchir, travailler, produire ensemble pour combattre la misère».

Si la presse internationale s’est intéressée à cette « succes story solidaire » c’est avant tout pour sa dimension humanitaire mais surtout, car d’un conflit social est né un projet concret mettant chaque personne au cœur de l’entreprise. Il ne fait nul doute que ce LABEIS (Laboratoire Expérimental d’Innovation Sociale) inspire les esprits au-delà des frontières.

D’ailleurs, nous avons rencontré Paul, un bénévole qui vient tout droit de Hambourg, il s’est installé pour une durée de six mois à Marseille « J’ai vu un reportage sur Arte qui décrivait le projet de l’Après M, j’ai trouvé ça fascinant, il fallait que je vienne aide. Il n’existe rien de similaire en Allemagne ».

Paul est devenu un membre de cette famille, Yazid le regarde avec tendresse et admiration : «Il est comme un fils d’Allemagne, imaginez-vous, il a tout quitté sans avoir où il mettrait les pieds, juste pour aider ! ».

L’aventure Après M se poursuit sereinement et sera marquée d’une «  phase 2 » le 2O février (sous condition qu’il n’y ait pas un confinement) durant laquelle des animations pour les enfants seront proposées et des artistes animeront cette journée.

Les racines du terreau fertile de la fraternité humaine sont bien ancrées, l’Après M n’en est qu’à ses prémices, nous le voyons par leurs actions mais aussi dans leurs regards plein d’espoir et de détermination.

[Pour continuer la lecture sur ce sujet, nous vous recommandons le reportage d’Alexandre-Reza Kokabi et de NnoMan, à lire sur Reporterre. ] Les photos de NnoMan dans ce reportage ont été prises initialement pour le reportage du 30 janvier 2021 pour Reporterre