Accueillis à l’entrée par trois jeunes adolescentes souriantes, nous découvrons un gymnase aux allures d’hébergement d’urgence. Linda, Mariam et Rayana sont toutes les trois collégiennes à Ivry-sur-Seine. Comme la soixantaine de personnes présentes, elles sont en attente d’une solution de relogement. Des familles tchétchènes, ingouches en majorité ainsi que quelques-unes originaires d’Afrique de l’Ouest. Anciens habitants du 37 rue Marceau, un squat historique de la ville, les familles en ont été délogées par la police quelques jours auparavant. Une expulsion cynique organisée avant le début de la trêve hivernale. Cinq ans de vie commune qui s’arrêtent brusquement au petit matin du 26 octobre.
Lyrics : Mathilde Boudon – Lamraoui Photos : NnoMan
Selon les jeunes filles, « une armée de policiers, plus d’une cinquantaine » a débarqué au pied de chez elles. Les adolescentes, des franco-tchétchènes d’à peine 15 ans, nous précisent désabusées « Ce n’est pas notre première expulsion. » La voix de Rayana se trouble quand elle parle de sa mère « Elle était sous le choc, en pleurs. Ma petite sœur de 4 ans hurlait et ne comprenait rien. »
L’inquiétude laisse place à l’indignation quand elles parcourent du regard le gymnase « Près des buts là-bas sur le terrain, c’est le coin des femmes âgées. Certaines sont malades. De toute façon, tout le monde tousse au gymnase (…) Puis il y aussi les enfants, une trentaine environ, dont la moitié est scolarisée. Au moins au squat, on avait une cour extérieure pour jouer. ».
Ce dimanche effectivement, l’une des profs de l’école s’est déplacée et elle est venue chargée. Lecture, dessins, gommettes, … Anaïs tente tant bien que mal d’animer gaiement les enfants qui tournent en rond dans le gymnase clos « Depuis que le squat est expulsé, je m’inquiète pour la scolarité des enfants. Où vont-ils être relogés ? C’est primordial qu’ils restent à Ivry. On les connaît, on les suit depuis des années. Entre les voisins, les profs et les membres de leur communauté, il y a un tissu d’entraide et de solidarité indispensable. C’est notamment pour ça que le jour de l’expulsion, la grande majorité des familles a refusé les propositions d’hébergement du 115. »
Les jeunes collégiennes interrogées le confirment « Quand nos familles ont vu les policiers armés dans les bus qui nous attendaient, elles ont refusé qu’on y monte. Surtout que nous ne voulions pas être envoyés loin d’Ivry ni être hébergés pour quelques jours seulement. Alors oui, on a refusé collectivement cette solution. »
La force d’un collectif qui vit ensemble depuis 5 ans. Nabi, originaire du Mali, rebondit « On vivait ensemble, on avait de l’eau, du chauffage. Le bâtiment était vide quand nous sommes arrivés. Il y a un an environ, il a été racheté par un nouveau propriétaire qui a poursuivi la préfecture pour récupérer l’immeuble. Les rumeurs d’expulsion enflaient alors la mairie s’est rapprochée de nous, elle devait nous prévenir de l’expulsion. Des engagements qu’elle n’a pas tenus. » Un sentiment de trahison qui semble partagé par les occupants depuis la mise à disposition du gymnase par la municipalité.
Contacté par nos soins à ce sujet, le maire communiste de la ville, Philippe Bouyssou a accepté de répondre à nos questions.
Les occupants du gymnase semblent en vouloir aux équipes municipales…
Tout d’abord, leurs griefs sont en partie légitimes. Ils sont le résultat de l’échec des politiques d’expulsions des squats, notamment quand des familles et des enfants s’y trouvent. On a transposé une situation de précarité d’un squat avec une habitude de vie, un réseau de solidarité, à un gymnase qui n’est pas prévu pour héberger des gens.
C’est dramatique parce que depuis le début on demande à l’Etat un opérateur pour le diagnostic social, et on n’a pas pu l’obtenir. On a mis le gymnase à disposition mais la préfecture ne nous écoute pas concernant les logements, c’est une compétence d’Etat, pas de collectivité.
J’en ai parlé aux différents préfets du 94 mais je n’ai jamais obtenu gain de cause. L’État a expulsé en urgence sans faire ce diagnostic. On a dû ouvrir un gymnase en urgence car les familles ont refusé les mises à l’abri du 115. On a été les porteurs d’eau entre les collectifs et l’État mais les habitants ont refusé les solutions proposées.
Depuis l’été, les habitants du squat nous ont affirmé avoir eu plusieurs réunions avec la mairie. Selon elles, certains engagements pris lors de ces réunions n’ont pas été tenus. Notamment celui d’avertir les habitants du squat en amont de l’expulsion.
On ne s’est pas donné les moyens d’avoir un lien direct avec les familles et je le regrette.
Nous aurions dû prendre bien avant, un interprète pour créer le lien et faire des points réguliers, directement avec elles. Je peux vous dire que ça nous servira de leçon. Il y a eu beaucoup d’incompréhensions. Même si tout le monde savait que l’expulsion était inéluctable, on n’a pas été assez clair, nous aurions dû dialoguer directement pour clarifier les choses.
Il y a eu une incompréhension concernant les hébergements du 115. Les familles ont craint d’avoir un logement quelques jours et de se retrouver à la rue. S’il y avait plus de centres d’hébergement partout en périphérie de Paris la situation aurait été différente.
Au gymnase, on nous a informé que l’opérateur désigné, l’association Alteralia ne laissait pas la possibilité de cuisiner ni d’accueillir les soutiens éventuels. Certaines familles contestent le communiqué de presse de la mairie publié le 5 novembre 2021, notamment car il fait état de : « conditions d’un accueil digne au sein du gymnase : chauffage, électricité, couvertures, tables, sanitaires, produits ménagers et containers pour les déchets ».
Ce n’est pas un accueil digne. La situation actuelle est à mi-chemin entre ce qu’elles vivaient dans le squat et dans un hôtel du 115, ça ne peut pas durer. Mais il aura fallu cette situation, pour que l’Etat désigne enfin un médiateur, qui reçoit les familles, et met en place un vrai diagnostic social. Le gymnase a été réquisitionné par l’Etat et c’est encore lui qui finance l’opérateur social pour le diagnostic. On travaille avec Alteralia depuis longtemps notamment auprès de la population Rrom de la ville.
L’association a une double mission : assurer le fonctionnement du gymnase (matériel, nourriture, frigo, cuisine, …) et mettre en place le diagnostic individuel.
Pour la cuisine, le but est d’éviter le danger. Ce n’est pas génial, mais c’est une période de transit. On va proposer des solutions aux familles dès que possible grâce aux diagnostics individuels. Mais encore une fois, il aurait fallu que ce travail soit fait en amont.
Certaines enseignantes s’inquiètent également de la scolarisation des enfants du squat qui fréquentent les écoles ivryennes.
C’est un vrai sujet et c’est un double problème. On sépare les gens qui ont développé des habitudes de solidarité entre eux, alors leur besoin de rester ensemble est normal. Quand les enfants sont scolarisés, c’est encore plus dur de tout changer.
Les hébergements hôteliers ne sont pas une solution. Il faudrait que les logements du 115 d’Ivry leur soient prioritaires mais c’est la compétence de l’Etat. Je porte déjà ce message auprès de la préfecture. Il faut dédier les places d’Ivry aux gens d’Ivry pour rompre le moins possible les liens de scolarité ou médicaux. Sur la ville, on a 8.000 demandeurs de HLM issus du territoire et 20.000 sur les premiers choix numéro régional.
Certaines familles du gymnase n’ont pas de demande de logement ouverte, même celles qui sont en situation régulière. Mais sur le plan national, les conditions d’accueil, notamment des personnes migrantes sont insuffisantes.
Comment va se dérouler la suite, après les 20 jours d’hébergement au gymnase ?
J’espère que ça sera suffisant pour trouver des solutions, ça ne peut pas durer, pour la dignité des gens.
J’espère ne pas prolonger le logement dans ce gymnase mais s’il faut on continuera le temps de trouver des solutions. Nous devons travailler vite, pour le bien être des familles. Pouvoir trouver des solutions une par une, et vider le gymnase petit à petit.