Cette année, l’association Citoyenneté Jeunesse s’associe à Fumigène pour mener une résidence de journalistes au collège Lenain de Tillemont, à Montreuil. Le projet est né d’une volonté commune : porter un regard juste et positif sur les banlieues, souvent décriées dans les médias traditionnels. En adressant cette résidence à une classe de 4ème, l’idée est de susciter ce même besoin chez les élèves. Pour qu’ils mesurent la nécessité de s’exprimer, de (re)prendre la parole. À propos de leur territoire. À propos d’eux-mêmes. Parler pour ne plus “être parlé”.

Lyrics : Rihem, Assa et Nolwenn  Illustration : Rihem – Photo : NnoMan 

Rihem, Assa et Nolwenn ont souhaité aller à la rencontre d’un psychiatre de prison, métier qui suscite leur intérêt et fascination:  “C’est un métier enrichissant qui nous permet de comprendre les sentiments des gens et d’écouter leurs histoires. Les personnes en prison ont des histoires plus « intéressantes », des cas graves sur la conscience.” Elles ont appelé les prisons de la région sans relâche jusqu’à obtenir le contact de Cyrille Canetti, un psychiatre avec une grande expérience du milieu carcéral. Il a répondu aux questions qu’elles se posaient, en période de confinement, avec détails et transparence.

Rencontre avec Cyrille Canetti – Chef de Service GHU (St-Anne)

1) Pouvez-vous vous présenter en quelques mots.

Je suis psychiatre depuis 1995 et exerce en prison depuis 1996. Trois ans à Fresnes, dix ans à Fleury-Mérogis où je m’occupais d’adultes et de mineurs, et dix ans à la prison de la Santé comme chef de service du SMPR – le Service Médico-Psychologique Régional. Le service comporte une unité en détention et une consultation pour les sortants de prison.

J’ai également travaillé deux ans et demi pour le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté. 

 

2) Comment se passent les séances en général autant pour vous que pour les prisonniers?

Les arrivants sont rencontrés par l’équipe infirmière qui les informe qu’ils peuvent avoir accès à des soins psychologiques et psychiatriques, qui ne seront jamais imposés (il n’existe pas de soins obligatoires en prison) et dans le respect du secret médical. Ensuite, les patients qui veulent nous rencontrer, ou qui sont signalés parce que n’allant pas bien, sont reçus par des infirmières, des psychologues et des psychiatres. Les entretiens sont faits en l’absence de tout personnel de l’administration pénitentiaire. Si un traitement est nécessaire, nous le prescrivons et il est distribué une fois par semaine en cellule. Nous fixons à nos patients la date de leur prochain rendez-vous. Notre mission est de permettre que les soins soient accessibles aux prisonniers de la même façon qu’à l’extérieur. Nous n’avons aucune mission de justice, nous ne sommes pas là pour la prévention de la récidive mais pour faire respecter le principe de l’accès aux mêmes soins pour tous.

 

3) Est-ce que les prisonniers sont menottés pendant les séances?

Jamais.

 

4) Est-ce qu’il y a un gardien de prison avec vous ?

Les gardiens sont à distance et la porte du bureau est fermée. Nous avons des boutons poussoirs pour appeler en cas d’urgence mais comme nous sommes soignants, généralement, nos patients ne se montrent pas menaçants. Nous sommes bien accueillis.

 

5 ) Où se déroulent les séances ?

Nous avons une aile de bâtiment où chaque professionnel de santé a son bureau pour recevoir les patients. Il existe également des salles d’activités thérapeutiques pour des activités en groupe de psychomotricité ou d’ergothérapie (relaxation, peinture, musique, culture, etc.).

 

6) Pourquoi vous-avez choisi ce métier ?

On me pose souvent cette question et je ne sais pas exactement comment y répondre. J’étais intéressé par la médecine légale, j’ai fait un DU, j’ai visité Fresnes et il m’est apparu comme une évidence que c’était là qu’il fallait que je travaille. La population pénale est plus défavorisée que les autres, les parcours de vie sont souvent terribles et ce sont des gens dont tout le monde se détourne en raison des infractions commises, mais ce sont aussi des gens qu’il faut aider comme les autres, et plus particulièrement comme toutes les personnes défavorisées. 

 

7) Est-ce que vous avez déjà eu une séance qui s’est mal passée?

Oui, parfois, les relations sont tendues, mais cela existe également à l’extérieur. Dans l’ensemble, je dirais qu’on est plus en sécurité quand on travaille en prison que quand on travaille à l’hôpital. D’abord parce que l’administration pénitentiaire est là pour garantir notre sécurité, ensuite parce qu’à l’hôpital, les patients ne sont pas toujours d’accord pour être soignés. En prison, quand une personne nécessite des soins sous la contrainte (parce qu’elle est délirante ou trop déprimée), nous avons l’obligation de la faire hospitaliser car les murs de la prison ne sauraient remplacer les murs de l’hôpital. La prison n’est pas un lieu de soins comme l’hôpital mais un lieu de vie où l’on peut donner des soins (comme en EHPAD, à l’école, etc.).

Cependant, j’ai quand même été pris en otage, il y a 10 ans, le 7 avril 2010, par un de mes patients. Cinq heures confinés ensemble, rien à côté du Covid-19. Et puis ce patient s’est montré très rassurant pendant tout le temps, je n’en conserve pas de traumatisme, je crois.

 

8) Quel est le parcours pour devenir psychologue ?

Pour être psychologue, il faut une licence et un master en psychologie. Pour devenir psychiatre, il faut faire six ans de médecine, passer l’internat et faire quatre ans de spécialisation en psychiatrie.

 

9) Prenez-vous rendez-vous avec les prisonniers ou ce sont les prisonniers qui demandent à vous voir ?

Les deux. Parfois, les prisonniers nous écrivent et nous leur envoyons un rendez-vous, parfois nous leur proposons un rendez-vous parce qu’ils ont été signalés (par l’administration pénitentiaire, nos collègues de médecine générale, les avocats, parfois les juges ou les familles). Et quand nous les avons vus une première fois, nous leur remettons un carton avec la date du prochain rendez-vous, comme ce qui existe dehors. 

 

10) Est-ce que vous êtes un psychologue extérieur à la prison ou vous travaillez à plein temps dans la prison ? 

Je suis psychiatre et non psychologue (ce qui fait que je peux prescrire des médicaments, mais j’évite de le faire trop). Je travaille à temps plein dans le service mais je partage mon temps entre la consultation dans la prison et la consultation pour les sortants de prison (en gros, huit demi-journées dedans et deux dehors). Nous avons aussi trois psychologues dont certains sont à temps plein et d’autres à temps partiel avec une activité dans le privé à l’extérieur.

L’équipe est composée de huit infirmières, quatre psychologues, deux assistantes sociales, trois secrétaires, une cadre de santé, deux ergothérapeutes, une psychométricienne et cinq psychiatres. Leur temps de travail est réparti entre dedans et dehors.