Khaled Miloudi a 60 ans. Actuellement en semi-liberté entre le dedans de la prison de la Santé et le dehors du monde d’après, il termine une « longue peine » pour une série de braquages dans un passé lointain. En prison, son goût pour les mots l’a sauvé. Nombre de ses textes ont été présentés et publiés. Récompensé par le prix Blaise Cendrars en 2016, il prépare aujourd’hui sa sortie prochaine, en finalisant notamment un recueil de ses écrits poétiques.

Khaled a décidé de se raconter, de laisser libre court à sa plume dans une chronique hebdomadaire. 

Dans le train une réelle ruche humaine qui filait vers Brest, je me sentais bien seul avec mon sac marin.

J’allais intégrer l’école des mousses, une nouvelle aventure pour moi, qui n’avait que treize ans. Je rêvais déjà de grands voyages, de belles naïades, d’iles lointaines et vierges, de ce bateau fendant de son immense étrave les eaux turquoises de mon tour du monde imaginaire.

Les lectures d’Homère, de La Pérouse, de Cartier, de Vernes, d’Hemingway, nourrissaient mes rêves d’épopées.

Après les formalités d’usage à l’entrée de la rade, nous avons été dirigés vers nos chambrés, premier arrivé, premier servi, mais pas toujours…. Certains qui en imposaient, par leur taille ou leur carrure, récupéraient les meilleures places, à côté de la fenêtre ou du radiateur. Quant à moi, j’étais prêt à en découdre pour faire ma place, le noble art que je pratiquais depuis l’âge de dix ans sous forme de boxe éducative m’apportait une assurance singulière à mon âge. Mon crochet du gauche à la pointe du menton n’était pas ma seule arme défensive, mon corps et mon âme avaient déjà encaissé des coups de poings et de pieds, des coups de bâton et de pioche, des nuits et des minuits dans un cagibi sombre et funeste avec pour seul mobilier un vieux sommier à ressort sans matelas.

La seule clarté de la journée filtrait du soupirail, détail qui aura son importance pour récupérer quelques bonbons : des smarties, et pour aspirer goulûment à la paille des sodas que m’apporter quotidiennement mon copain Pascal. Il se relayait avec Anne une copine de classe pour me ravitailler et me tenir compagnie la journée.

Il me fallait grimper sur le sommier après l’avoir calé à la verticale pour récupérer mes friandises. Ma maman aussi faisait preuve de dévouement et de courage pour améliorer mon ordinaire qui n’était composé que d’un morceau de pain sec et d’un bol d’eau. Elle subtilisait la clef du cagibi à mon père durant la sieste à laquelle il ne dérogeait jamais, et venait me réalimenter dans la foulée. Je revois la pâleur de son visage et ses larmes contenues : « soit fort mon fils » me murmurait elle dans des sanglots étouffés avant de disparaître. Je la rassurais toujours en disant que j’étais son petit champion, que je n’avais pas peur, seul dans le noir, et lui promettais, une fois mon bagne de deux mois terminé, que je reprendrai une scolarité studieuse, l’entraînement de boxe et que je deviendrai une terreur sur le ring.

J’exécutais des séances de shadow jusqu’à épuisement.

Ce cagibi sans le savoir été le premier ring sur lequel je disputais mon premier combat. Mon premier combat contre moi-même. Je m’obligeais à faire de l’exercice physique tous les jours malgré la faim, la soif et la chaleur qui me tiraillaient. Mes mains étaient constamment blessées à force de déverser toute ma colère contre les murs de mon goulag, et après je fondais en larmes, de sang ?!!

Le programme à l’école des mousses n’était pas des plus alléchants pour moi qui étais épris d’aventure et de liberté.

Durant la première année, qui me paru interminable et à mille lieus de tout ce que j’avais imaginé, je suis resté à la base sans pouvoir sortir ni rentrer chez moi alors que tous mes copains rentraient dans leur famille. Nous étions mineurs. Moi je me sentais un peu plus orphelin que mineur. Ma voix et ma place n’étaient pas dans ce lieu. Et aussitôt dit aussitôt fait, je prenais le large sans rempiler pour 5 ans. A mon retour je ne pouvais espérer réintégrer le domicile familial, mon père ne l’aurait pas accepté.

La juge pour enfant ayant été saisie, elle décida de me placer dans une famille d’accueil. Un couple d’agriculteurs de profession. A la ferme, je participais aux différents travaux, plus particulièrement à ceux des animaux que je choyais affectueusement. Dans ce petit village, les copains et les copines étaient plutôt rares. Je rongeais mon frein au quotidien, et puis un jour, Francette est arrivée.

C’était une ado de dix-sept ans, en rupture familiale, un air rebelle et une belle frimousse, un sourire au charme ravageur et frondeur, des yeux verts à faire pâlir une émeraude et des cheveux longs comme une traîne de mariée. A la vue de cette belle amazone, le coin m’apparut d’un coup d’un seul plus champêtre et bucolique. Après s’être apprivoisés, j’ai mis mon cœur dans ses mains douces, j’ai pris son cœur pour une romance. Nous devions donner le change pour cacher notre idylle aux yeux de tous, au risque d’être séparés. En effet, deux mineurs qui roucoulent dans le même lit chez une famille d’accueil, cela aurait fait plutôt mauvais genre pour l’institution. Francette occupait la chambre face à la mienne, de l’autre coté d’une grande salle à manger au ton gris ou crépitait des bûches de bois dans l’âtre.

A l’heure prévue, après s’être assurée que toutes les âmes dormaient à poing fermés, elle apparaissait au seuil de ma chambre, douce, légère et nue, et ses cheveux se coloraient de mille feux en s’embrasant comme nos baisers enflammés et passionnés. On s’endormaient les sens réjouis, sur le même coussin, le jour éblouis.

Un jour, ce que nous redoutions arriva. La fille des fermiers nous dénonça après nous avoir surpris dans la grange alors que nous contions fleurette sur un matelas de paille. Nos éducateurs furent alertés et dès le lendemain, il venait nous récupérer. Francette fut dirigée vers un foyer de jeune fille et moi vers une autre famille d’accueil.

Grace à l’affichette sur la porte de la MJC qui se trouvait en face du foyer de jeunes filles, Francette et moi nous nous revîmes lors d’un gala de boxe, à la buvette, après que j’eus remporté mon premier combat de boxe à la deuxième reprise par KO. Mon entraîneur, monsieur Jean Hamon, fit grise mine en me voyant m’éclipser avec ma dulcinée retrouvée. Il était responsable de moi devant l’institution, mais son côté humain prenait le dessus, il me couvrait souvent durant mes élans d’émancipation et lors de mes escapades amoureuses.

Les veilles de combat, il s’assurait que je me couchais tôt et seul. J’avais, d’après lui, des prédispositions pour le noble art, et il adaptait les séances d’entraînement en canalisant ma fougue, mon énergie débordante et cette violence intérieure qui bouillonnait en moi. Il croyait en moi, ne cessait de m’encourager à persévérer dans cette voie. Sur le ring, j’étais fière comme Artaban, mes premières victoires expéditives m’avaient forgé une petite réputation de puncheur, en dehors du ring également. Dès qu’un rapport de force m’était imposé, je cognais dur le premier en ne laissant aucune chance à l’opportun. J’étais animé par une profonde colère comme un feu de brousse. Lors des bagarres, je rendais un peu les coups que j’avais reçus très tôt, ils étaient, je le savais déjà, bien plus terrifiant que toute l’adversité que je rencontrais. Je m’étais même érigé en redresseur de torts, dès qu’un membre de ma famille, un copain, une copine se faisait molester, je me faisais un devoir de rosser l’impudent !

« Quand on ferme les yeux sur une injustice, on laisse la porte ouverte à une autre !!»

Jean de la Fontaine

Photo : Maxwell Aurelien James