Khaled Miloudi a 60 ans. Actuellement en semi-liberté entre le dedans de la prison de la Santé et le dehors du monde d’après, il termine une « longue peine » pour une série de braquages dans un passé lointain. En prison, son goût pour les mots l’a sauvé. Nombre de ses textes ont été présentés et publiés. Récompensé par le prix Blaise Cendrars en 2016, il prépare aujourd’hui sa sortie prochaine, en finalisant notamment un recueil de ses écrits poétiques.

Khaled a décidé de se raconter, de laisser libre court à sa plume dans une chronique hebdomadaire. 

Un après midi, le feu de brindilles que nous allumions mon copain Michel et moi nous surpris par sa soudaine propagation et par son intensité. Le vent s’était levé brusquement et attisa les flammes qui nous dépassèrent.

Pris de panique et incapable de venir à bout de ce feu qui faisait fondre les semelles de nos chaussures, nous primes la poudre d’escampette !

 Le feu se propagea aux arbres avoisinant situés derrière nos maisons. Les pompiers, alertés prestement par des voisins, maitrisèrent l’incendie. La maréchaussée fut également prévenue. Un gendarme, en conciliabule avec mon père, souhaitait m’entendre, un voisin nous ayant aperçu, Michel et moi, après le départ du feu.

J’avais saisi dans l’instant, la trame du drame qui allait se jouer suite à mon acte involontaire. Je m’étais caché sous les grandes feuilles d’artichauts qui longeaient le muret du jardin. J’y resterais une heure, accroupi, retenant ma respiration à chacun des passages de mon père, du gendarme et de ma mère. En frôlant ma cachette, j’avais peur qu’ils entendent raisonner mon cœur comme un carillon un jour saint !

C’est la pointe de la chaussure de mon père qui viendra butter contre mes genoux. En cet instant, ma cachette n’était plus un sanctuaire, comme le ventre rond de ma maman que j’essayais de former avec mon corps, roulé en boule,  et celle-ci allait muter en un puit noir et sans fond !

J’allais malheureusement rentrer dans le monde de Kafka…

Une fois  le sermon du  gendarme terminé et  tout ce petit monde, voisins et badauds repartis, mon père me conduira au sous-sol de la maison, après m’avoir ligoté les mains et les pieds à l’aide de bout de ficelles, et sans même prononcer un mot, ou un son, il se mis à me rouer de coups de poings et de pieds. Mon corps meurtri et abandonné roulait comme un jouet désarticulé sur le béton dur et froid, sous chacun de ses coups.

Je devais, à partir de cet instant, vivre au sous sol. Mon père sommera ma mère de m’installer le minimum vital : un matelas de plage gonflable, une couverture, mes livres et cahiers d’école ainsi qu’une lampe de poche frontale. Dès la fin d’après midi, le sous sol était plongé dans le noir.

Quant au menu, il était on ne peut plus frugal : un demi pain et un fruit ainsi qu’une bouteille d’eau courante, pour 24 heures, servi par mon père sur la dernière marche de l’escalier, faisant office de ligne de démarcation. Pour me doucher, je disposais à 7 h du matin de 5 minutes, montre  en main, après le top départ de mon père. Souvent, je redescendais les cheveux et le corps mouillés. Le froid et l’humidité qui régnait dans ce maudit sous sol en hiver était une morsure de plus sur la peau de mon âme !

Ma vie au sous sol avait quelques bons cotés. L’espace ne manquait pas et me permettait de déambuler la nuit, à la recherche d’insectes que je débusquais dans les moindres recoins, à l’aide de ma lampe frontale.

J’en profitais pour monter une petite  ménagerie à l’insu de mon père : Titi, un hamster que j’avais sauvé de la noyade – un copain de classe voulait s’en débarrasser dans la cuvette des toilettes – était ma seule compagnie tard le soir. J’en profitais pour découvrir et lire des BD, des polars, et me plonger dans le monde de Jack London et de John Steinbeck qui éclaireront mon lugubre sous sol l’un avec ses étoiles et ses rêves, l’autre avec ses perles d’espoirs et son « tortilla flat » qui me fît rire à gorge déployée !

Je me retrouvais un peu dans la description de ces âmes perdues que tout le monde rejetait,  et qui accumulait les bourdes avec une singulière nonchalance.

C’est dans le train qui nous conduisait vers notre nouvelle destination, ma mère, mes sœurs et mes frère – la famille s’était agrandit – que j’appris la cause de notre énième départ précipité. Je prêtais l’oreille, sans quitter des yeux le paysage verdoyant qui défilait et que je scrutais avec le regard curieux de la première fois. Ma mère relata à mon grand frère que mon père avait usé de violence envers un collègue de travail, qui le méprisait, le titillait un peu trop pour son illettrisme ! Mon père paraphait ses documents administratifs, ainsi que nos carnets de correspondance, d’une croix qu’il traçait à l’aide d’un stylo rouge. Son employeur mettra un terme à son contrat de travail le jour même et il passera l’après midi à la gendarmerie.

Dans cette micheline qui bringuebalait comme dodelinait la tête de mon grand frère contre mon épaule, j’étais en larmes à l’intérieur de mon être.  Ma vie était si âpre, si douloureuse et glaciale… comme un hiver 54, et je savais qu’elle avait encore de mauvais coups à me porter et moi, à recevoir…

 « Les horizons m’encerclent comme des fagots

 qui penchent, disparates et pour toujours instables,

 Il suffirait d’une allumette pour qu’ils me réchauffent

et que leurs lignes fines,  rougissent l’air

 lestant  le ciel pâle d’une couleur plus sûre.

 Avant que les lointains qu’elles fixent ne s’évaporent.

 Mais ils ne font que dissoudre et dissoudre

 comme une succession de promesses, a mesure que j’avance. »

                                            Sylvia Plath

Photo : Maxwell Aurelien James