Credit Photo :  Dalal – Lallab

Graziella Crocetti, secrétaire de Lallab répond aux questions de Fumigène Mag

L’une des thématiques sera l’organisation collective des femmes musulmanes contre les discriminations, vous nous rappelez en quoi c’est essentiel ? 

Nous faisons le constat que notre place dans la société est sans cesse à négocier, aujourd’hui les femmes musulmanes font face à de multiples oppressions sexistes, racistes et islamophobes, leurs libertés fondamentales sont attaquées dans l’espace public, à l’école au travail ou encore dans l’accès aux loisirs. 

Or, nous souhaitons vivre dans une société où chaque femme a la possibilité de se réaliser quelles que soient ses identités, sans craindre d’être jugée, discriminée ou violentée. Depuis longtemps, les femmes musulmanes s’organisent contre les injustices qu’elles subissent et nous souhaitons mettre en lumière ce pouvoir collectif lors de cette 4e édition du Muslim Women’s Day ou la Journée internationale des femmes musulmanes. C’est l’un de notre rendez-vous phare annuel qui a été lancé pour la première fois en 2017 aux États-Unis par Amani Al-Khatahtbeh, la fondatrice du média américain Muslim Girl. Le mois de mars et ses divers événements autour des droits des femmes était le moment idéal pour faire résonner les voix des femmes musulmanes, dans leur diversité et leur pluralité.  

L’organisation collective des femmes musulmanes est un outil essentiel qui doit leur permettre d’être actrices de leurs propres chemins d’émancipation. L’histoire des luttes pour la justice sociale nous le montre, l’action collective est un levier puissant de changement social. Il permet d’une part de recréer des liens de solidarité brisés par la société, qui tend trop souvent à nous isoler, mais également de faire porter nos voix et nos revendications. L’autonomie politique des opprimé.e.s est un de nos principes chez Lallab et une clé de la lutte contre leur oppression. Cette autonomie politique passe par l’auto-organisation des femmes musulmanes dans la conquête et la lutte pour leur droit et pour plus de justice sociale.

Certain.e.s pourraient être surpris par votre prise de parole, et vos actions concernant les violences sexistes et sexuelles, que leur répondez-vous ? 

Nous sommes une organisation féministe et antiraciste qui fait entendre les voix des femmes musulmanes et défend leurs droits. Lorsque nous luttons pour nos droits au sein de la société, nous luttons pour notre émancipation et notre libération sans condition, dans tous les pans de notre vie. Nous nous efforçons de construire une société meilleure où nos voix sont entendues, nos douleurs estompées et notre dignité respectée. Partout, jusque dans notre intimité, car le privé est profondément politique. Les violences sexistes et sexuelles font partie du problème politique, social et représentent des injustices que nous subissons ! Ce sont des violences systémiques, au même titre que les violences racistes et islamophobes. Nous avions rédigé un communiqué sur notre magazine en ligne à ce sujet où nous expliquons que ces violences découlent de systèmes oppressifs et doivent être adressées en tant que telles, en tant que violences à combattre au nom de la lutte pour la justice dont nous nous réclamons. Malheureusement, trop souvent encore la parole des personnes victimes de ces violences est bâillonnée. Ces mécanismes de silenciation sont d’autant plus puissants quand ils se déploient dans nos espaces militants et communautaires, parler des violences sexistes et sexuelles que nous subissons serait « trahir la cause commune », risquer l’instrumentalisation islamophobe. Mais comme le dit Audre Lorde, militante afro-féministe américaine, « notre silence ne nous protègera pas ». Au contraire, le silence contribue à la perpétuation de ces cycles de violence et au sentiment d’impunité des agresseurs. En tant qu’association féministe et antiraciste, en tant que militantes, en tant que femmes engagées, il est donc de notre responsabilité chez Lallab de briser ces cycles de violences et de nous assurer de la qualité de nos espaces et de faire en sorte que les organisations avec qui nous choisissons de travailler en face tout autant. Ainsi, dans le cadre du Muslim Women’s day, la journée internationale des femmes musulmanes, qui aura lieu le samedi 27 mars, l’une de nos tables rondes traitera spécifiquement, aux côtés d’autres collectifs féministes, de ces violences sexistes et sexuelles que nous vivons au sein de nos espaces de luttes et communautaires, et nos victoires face à celles-ci.

Combien de personnes suivent vos actions, vos évents aujourd’hui ?

Chez Lallab nous sommes au total une communauté de 500 Lallas (bénévoles de Lallab) qui ont mené des actions et qui ont pu bénéficier de nos nombreux programmes.

Sur nos réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, newsletter) nous sommes suivies par plus de 60 000 personnes. Notre magazine en ligne qui fait entendre les voix des femmes musulmanes et où elles se réapproprient leurs récits comptabilise plus de 300 articles et 30 000 lecteur.rice.s par mois ! Nous organisons également chaque année en mai un festival féministe et antiraciste pour célébrer les femmes musulmanes dans leur pluralité. La dernière édition en 2019 avait rassemblé plus de 600 personnes à la Bellevilloise. Depuis notre création en 2015, nous avons aussi organisé plus de 250 projections débats sur les épisodes Maroc et Indonésie du WomenSenseTour, à la rencontre de femmes inspirantes dans 5 pays musulmans, et avons rencontré plus de 25 000 personnes au total partout en France.

Nous organisons aujourd’hui principalement nos évènements en ligne, le dernier que nous avons co-organisé en février dernier avec les éditions Tarkiz autour de la traduction du livre d’amina wadud ‘Le Coran et la Femmes » et aux côtés de grandes féministes comme Asma Lamrabet, Malika Hamidi et Ines Safi a rassemblé plus de 1000 personnes en direct et le webinaire qui est maintenant en ligne a pu être vu des milliers de fois ! L’édition 2020 du Muslim Women’s Day sur la santé mentale, que nous avions dû ré-adapter en Facebook Live en raison du confinement, a généré plus de 2000 vues en ligne pour chaque vidéo-talk !