Lyrics Abdelkrim Branine – Photo NnoMan

Au début de l’année 2016, des #FreeMoussa envahissent les réseaux sociaux. Des rassemblements sont organisés un peu partout en France pour demander la libération de l’humanitaire français Moussa Ibn Yacoub, emprisonné en Birmanie. C’est la première fois qu’il raconte en détail à un média les raisons et les conditions de sa détention.

 

 

Fumigène : Comment vas-tu depuis ton retour en France ?

Moussa Ibn Yacoub : Très bien. J’ai pu revoir enfin ma famille, mes proches et constater de près la mobilisation. Chaque jour dans la rue, je continue de croiser des gens qui m’ont soutenu. C’est un plaisir de voir cette France qui s’est bougée pour me faire sortir de prison au Bangladesh… À Montreuil, ma ville, j’ai décroché mon propre portrait de la mairie, c’était quelque chose… Tous ces symboles sont très forts, vraiment.

 

Fumigène : Comment en es-tu venu à l’humanitaire ? On a l’impression que c’est une vraie vocation pour toi…

Moussa : Pour moi, c’est Dieu qui m’a guidé vers l’humanitaire. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans la rue à distribuer de la nourriture aux sans-abris avec une association qui s’appelle « Au cœur de la précarité », que j’ai cofondée avec le président actuel. J’avais 21 ans. On venait des quartiers populaires, on voulait trouver un sens à notre vie. Au fil des années, l’association s’est développée et nos activités ont pris une autre ampleur. Du local au national puis à l’international. Un jour, j’ai été contacté par Baraka City. J’ai ensuite rejoint cette ONG et pour ma toute première mission, ils m’ont dit : « Tu vas en Birmanie ».

 

Fumigène : Tu es allé à la rencontre des Rohyngias, une minorité musulmane persécutée en Birmanie. Tu es toi-même musulman : te considères-tu comme un « humanitaire musulman » comme on a pu le lire ?

Moussa : Moi, un « humanitaire musulman » ? On dit ça sûrement parce que je suis converti et que la confusion avec mes deux prénoms a joué une part dans mon incarcération. Personnellement, l’Islam m’enseigne de faire le bien, oui. Mais un humanitaire ne doit pas être assimilé à une religion. Quand je viens en aide à une personne, je ne regarde pas ce genre de choses.

 

 

Fumigène : Comment se passe ton premier voyage en Birmanie ?

Moussa : Le premier problème, c’est comment je vais rentrer dans ce pays ? Et qu’est-ce qui va m’arriver ? Quand j’arrive, je ne parle pas un mot d’anglais, je ne sais pas où se trouvent les Rohyngias… On est en 2013, le pays sort à peine de la dictature militaire. Dès 2012 les Rohyngias se font chasser pour être parqués dans des camps. Après plusieurs tentatives, on arrive dans un village où vivent des musulmans. Là, on recueille les premiers témoignages et on découvre leur calvaire. Ma mission de jeune humanitaire, c’est donc de transmettre l’information, essayer de faire porter cette voix, éteinte. Très peu de médias et d’ONG accédaient à ces fameux camps. L’ONU crie haut et fort que c’est la minorité la plus persécutée du monde et rien ne se passe ! Je rencontre Amnesty, Human Right Watch. Tous font le même constat mais pas grand chose ne se fait. Là, on décide donc d’y retourner pour agir. Il y a des risques importants mais ça en vaut la peine. C’est toute une communauté qui est en train de s’éteindre aujourd’hui.

 

Fumigène : Le 22 décembre 2015, tu es arrêté. Que s’est-il passé ?

Moussa : En Birmanie, même si c’est difficile, on peut avoir des autorisations par le gouvernement pour exercer dans les camps. Au Bangladesh, c’est différent, ils n’acceptent pas. En tout cas pour les ONG « musulmanes », car il y a des ONG non-musulmanes qui interviennent. C’est donc lors du 4ème voyage au Bangladesh que je me fais arrêter. C’est un contrôle banal, à un checkpoint. Il n’y a aucun souci, mais ils découvrent que je possède sur moi une monnaie locale étrangère qui vient de Birmanie. On arrivaient de la frontière birmane, un terrain hostile où il existe des trafics, donc ils prennent leurs précautions. Je subis un premier interrogatoire, puis deux, trois… Je sens que ça se complique.

 

Fumigène : On te pose quoi comme questions ?

Moussa : On me demande pourquoi je suis ici. Ensuite, ils voient mon nom musulman sur certains documents, et que du coup, le nom sur mon passeport diffère. Pour eux, c’était une falsification. Avant mon arrestation, j’avais un projet dans des écoles pour les enfants Rohyngias, et je transportais des documents à ce sujet. je n’avais aucune autorisation pour aider les Rohyngias, donc je ne dis rien. Puis, les services secrets débarquent et là les questions sont beaucoup plus directes : « On veut savoir quelle est ta relation avec les Rohyngias ». Je leur fais comprendre que je suis fatigué, et que je veux rentrer à mon hôtel.  Les policiers menacent de m’arrêter si je pars, donc je cède tout en leur précisant que je vais informer officiellement mon Ambassade. L’un des agents des services secrets me dit alors : « Ne t’en fais pas, ton Ambassade est parfaitement au courant de ce qu’il t’arrive ». Je suis surpris, car je n’ai encore contacté personne. Arrivé au commissariat à 2h du matin, j’apprends qu’il y a une plainte à mon encontre : falsification de prénom et d’identité. Le reste est vague, on me dit que, peut-être, je suis venu commettre des « actes » sur le territoire. Etant donné que je suis Français, ils font clairement le lien avec ce qu’il vient de se passer à Paris (les attentats du 13 novembre). Je passe donc la nuit dans le bureau du commissaire et le lendemain matin, après un autre interrogatoire avec lui, j’appelle l’Ambassade.

 

 

Fumigène : L’Ambassade française était au courant de ta situation ou pas ?

Moussa : C’est compliqué… Avec le recul, je me rends compte que le Consul de France, avec qui je m’entretiens ce jour-là, a été avisé, mais il ne me le montre pas. Il me rassure et me dit : « Ne t’en fais pas, tu n’iras pas en prison ». Là, je me dis mais pourquoi il me parle de prison ? J’en suis pas là, on en est à un problème de prénom ! J’appelle Baraka City pour leur expliquer le pétrin dans lequel je suis. On me fait monter dans un camion cellulaire et je sens que ça se gâte pour moi. Je n’ai plus de téléphone, ma batterie est HS, plus de passeport. On arrive face à une grande porte. Des gens en civil m’accueillent et me demandent de leur remettre mes affaires. Je subis une fouille au corps et je comprends que c’est la prison. On me dirige vers une cellule avec plus de 300 personnes. Je me dis « wow »… On est le 22 décembre et on m’annonce un jugement pour le 15 janvier. Là, c’est un choc, je perds mon calme et je crie sur le directeur de la prison. Après ça, je suis mis à l’isolement pour ma sécurité, car j’étais un peu une « attraction » dans la prison : on voulait savoir qui j’étais, pourquoi je me trouvais ici. Les jours passent. Je dois me faire respecter par les matons qui m’appellent « Isis member ». Je n’ai aucune nouvelle de l’Ambassade.

 

Fumigène : C’est à ce moment-là que ton avocat, Maître Maati, entre en jeu ?

Me. Hosni Maati : Au moment où j’interviens, Moussa a essuyé un échec : il est libérable mais reste en prison. Le comité de soutien veut connaître les capacités d’intervention de l’Ambassade auprès des autorités du Bangladesh. Une règle simple qu’il faut rappeler : on parle d’un Etat souverain et il faut, quand on est diplomate, ne pas donner le sentiment qu’on est sur un terrain conquis. Au fur et à mesure des échanges avec le quai d’Orsay, voici ce qui se dessine : ne pas faire de bruit, intervenir de manière discrète. Il ne faut pas donner l’occasion aux autorités bangladaises de se braquer. On est sur un terrain compliqué : les Rohyngias sont victimes d’un massacre sans nom en Birmanie et deviennent une menace pour l’équilibre démographique du Bangladesh. On a un contexte français qui est celui des attentats. Moussa est un Français musulman converti.  Donc à partir de là, les raccourcis sont assez rapides. Et puis, disons les choses clairement : l’association à laquelle il appartient a mauvaise presse au niveau des autorités. Tout ça est défavorable. On intervient donc pour apaiser les choses. Le comité de soutien fait un travail exceptionnel, l’artiste Nekfeu parvient même à faire passer le . On sent que quelque chose se passe.

 

 

Fumigène : Mais le temps passe et les conditions de détention sont difficiles. À quel moment, tu te rends compte que ça bouge pour toi en France ?

Moussa : Au bout de 8 jours, j’apprends qu’il y a une forte mobilisation. On me parle de 80000 personnes qui ont signé une pétition. J’apparais visiblement dans les médias. Ensuite, je me rends au tribunal où le procureur m’accable totalement : « Tu es un terroriste, ton association est une association terroriste, on a vérifié en France, vos comptes ont été fermés ». Le problème, c’est que je ne peux pas me défendre (l’accusé n’a pas le droit de parler) et que mon avocat sur place, impressionné par cette scène, reste muet.
Fumigène : Est-ce que tu te sens abandonné par les autorités françaises ?

Moussa : La première visite du Consul m’a fait beaucoup de mal. Alors que je sors de 8 jours d’isolement, je l’attends comme un espoir, et c’est finalement tout le contraire qui en ressort. Je perçois des ondes négatives de sa part… Quand le numéro 2 de l’Ambassade vient me voir, tout change. Il m’a pris dans ses bras, ça a été très fort comme moment. Mon sentiment vis-à-vis des autorités françaises était partagé. On est dans un contexte très particulier, donc je prends en compte tout ça pour expliquer leur temps de réflexion. Mais en même temps, je suis en prison…

Me. Maati : Il y a eu aussi des maladresses. Je pense notamment à une visite de Manuel Valls sur Evry. Dans la rue, on lui pose la question de son soutien à Moussa, la veille d’une audience cruciale. Et il envoie bouler le truc. Là, ça tourne ensuite sur les réseaux sociaux : « Regardez, le Premier Ministre ne soutient pas Moussa ». L’Ambassadeur de Birmanie a forcément eu vent de cela. Quand le Premier Ministre français dit qu’il n’en a rien à faire, c’est laisser un boulevard aux autorités judiciaires et politiques de ce pays quant à l’appréciation du cas de Moussa.

 

Fumigène : Tu es finalement libéré, avec une arrivée triomphale à Roissy !

Moussa : C’était beaucoup d’émotions… J’ai pas mal pensé à ce moment-là. J’en avais très peur. Je ne savais pas si je devais rentrer en catimini ou pas. Dès le départ, ce n’est pas une mobilisation que j’ai forcément voulue. Je suis de nature discrète. C’est assez paradoxal ce que je vis dans la rue aujourd’hui, les gens qui viennent me voir me donnent beaucoup de considération, je me dis que si en moi, ils voient ces Rohyngias en détresse, alors, c’est un beau cadeau. Je le disais à tout le monde là-bas, tôt ou tard je serai libéré. Donc, évidemment c’est très fort cette mobilisation, cet accueil…

 

 

Fumigène : Tu peux nous dire ce que tu fais aujourd’hui, si tu continues l’humanitaire, avec BarakaCity ou pas ?

Moussa : Quand on subit une injustice alors qu’on est parti faire le bien, on ne peut être que plus motivé… Je prends l’exemple des grands hommes : Nelson Mandela, la prison ne l’a pas arrêté, Malcolm X non plus, et puis je peux en citer beaucoup comme ça. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus déterminé qu’avant. Les avoir vus en prison, c’était fort symboliquement mais le vivre, c’est autre chose. Hier, j’ai embrassé cette cause, aujourd’hui je fais partie de cette cause et donc, oui, le combat continue… il commence maintenant même ! Parce qu’avant je n’avais pas de visibilité, maintenant j’ai cette force parce j’ai des personnes derrière moi qui me suivent et qui m’écoutent… Maintenant, je vais travailler avec Pulse Bangladesh, une association locale déjà sur place qui m’a aidé. Avec BarakaCity, je suis en mauvais termes, mais il est temps pour moi de prendre mon propre envol. J’avais déjà des projets persos, aujourd’hui j’ai cette vocation avec les Rohyngias et c’est tout ce qui m’anime.