Lyrics Fatiha Kabel & Raphäl Yem – Photo DR (Affiche du film)

 

Nawell Madani a mené ce film comme elle est dans la vie, comme une fonceuse, comme une perfectionniste, comme une passionnée, comme quelqu’un à qui on ne dit pas « non », « je ne sais pas si c’est possible », « nan mais tu rêves? ». Oui, et elle a bien raison, car elle nous montre que c’est possible. Attention, ce film n’est pas un biopic, mais s’inspire largement de la vie de l’Algéro-belge, née à Watermael-Boitsfort, dans une famille modeste. Son film, sans prétention (tourné en 5 semaines avec 90% de comédiens débutants) a le talent de ne pas nous enfermer dans des clichés, de donner la possibilité à tou-te-s de s’identifier au personnage principal, qui à travers la scène, se bat pour s’accomplir, tout en rendant fier son père : nous rions avec Lila, vibrons avec Lila, pleurons avec Lila, tellement de points communs avec Lila. Le public en sort ému et les éclats de rires sont nombreux durant la projection. Nous avons rencontré Nawell Madani à Strasbourg, à l’une des très nombreuses avant-premières à laquelle elle a participé, devant à chaque fois, des salles blindées et enthousiastes.

 

Comment s’est passée la prépa’ de ce film?

Il ne devait pas se faire ! Je n’avais pas le financement et mon scénario était trop ambitieux. Lorsque je l’ai cédé, il prenait un sens que je ne souhaitais pas. J’ai voulu prendre les choses en main. J’ai foncé puis j’ai pu le réaliser. On avait pas beaucoup de temps. J’ai eu un mois pour le préparer, mais ça a été très intense.

Ce long-métrage est une comédie, avec du sens. C’est un premier film, mais pourtant, il va loin dans l’esthétique : les scènes de danse sont filmées plus que correctement, à la « Step Up » ; les scènes de stand up pareil, à la « Man Of The Moon ». La musique aussi, est un perso à part entière : il y a du Mickaël Jackson, du Chaka Khan, du S.Pri Noir … Les comédiens, dont c’est pour une large majorité la première fois, sont plus que convaincants. Rien n’est laissé au hasard. On connaissait tes qualités sur scène, on les découvre sur grand écran ?

Je n’étais jamais passée derrière la caméra, alors j’ai sollicité Ludovic Colbeau-Justin, un chef opérateur qui co-réalise, et qui a compris. J’étais à fond, j’ai travaillé sur tous les angles. Il me fallait des gens qui captent l’ADN du film. Je voulais que le style vestimentaire des acteurs soit comme je l’imaginais. Pour la sœur de Lila, je voulais une femme voilée moderne, belle et à la mode. Pas une femme en djellaba etc., et c’est pareil pour le Papa, je ne voulais pas les voir comme dans les clichés qu’on nous lance. Le décor du salon, dans notre foyer, aussi était important. Je ne pouvais pas prendre un salon normal, il fallait quelque chose qui ressemble à cette famille, pour que les gens plongent totalement dans l’histoire.
J’ai même participé au coaching des acteurs, mon regard externe était précis.

Dans le film, ton personnage se fait voler une «vanne» par un de ses collègues, qui la rejoue juste avant elle sur scène, face au public. Ca t’est déjà vraiment arrivé ?

Ce que je raconte est véridique. Le vol de vanne c’est connu, ça fait même la une des journaux aujourd’hui … Donc oui, ça m’est arrivé. Coluche disait : « Le premier qui le met en télé, ça lui appartient ». Je ne vise personne, je mets juste la lumière sur un fait qui existe depuis longtemps. Je l’ai vécu et je le vis comme plusieurs artistes. Beaucoup ne sont pas humoristes, il sont juste traducteurs. Ils n’innovent pas.

 

 

Ton film évoque aussi la pression subie par les femmes dans le milieu artistique : coïncidence, c’est la polémique du moment.

On peut penser que la manière dont c’est évoqué dans mon film est lourde. Mais je vous assure que ça a été allégé. La vérité est plus intense … En parlant de ça dans « C’est tout pour moi », je voulais juste montrer ma vérité. Dans l’univers du stand up, être une femme est difficile. Les remarques sur les vêtements, les sujets que je choisis de traiter, sont des choses qu’on critique parfois chez moi. Car quand tu es Maghrébine, c’est encore plus difficile. Tu dois faire attention à comment tu parles, comment tu te présentes. Donc oui je l’ai vécu, plusieurs fois. C’est la réalité. J’ai souvent lu ou entendu à mon sujet : « Elle n’a pas honte, elle parle mal ! » Et alors ? Si je me travestis, c’est pour jouer des rôles. Je ne fais pas ce métier pour plaire, sinon j’aurais mis un masque. C’est tellement facile.

Quel regard portes-tu sur ton aventure professionnelle ?

Aucune humoriste d’origine maghrébine a fais ce que j’ai réalisé, j’en suis à mon septième Olympia ! Quand t’es la première à faire autant de scènes, t’es la grande sœur, tu ramasses les coups pour les autres. Tu l’as en tête … Parfois, certains critiquent ma manière d’être car en tant que maghrébine, ça ne leur plait pas. Mais la mentalité est en train de changer et je pense y participer. Forcément, je suis consciente d’ouvrir des portes. Je n’apprécie pas qu’on ne relève pas la force de travail … Je veux juste forcer les gens au respect, qu’ils aiment ou pas. Il faut reconnaitre cet engagement. Peut-être qu’ils ne vont pas rire en regardant ce film, mais juste qu’ils sachent que là où je suis aujourd’hui, je l’ai pas volé.

Que voudrais-tu que les gens retiennent de ce film ?

Il y a une chose dont je suis sûr quand je vois leurs regards, après la projection, c’est que j’ai touché leurs cœurs. Et ça, c’est indescriptible. Si vous saviez les textes que je reçois de certaines personnes après les projections, c’est beaucoup d’émotion ! Des messages où ils se livrent : ils veulent y croire. J’absorbe tellement leurs témoignages, parfois je n’arrive pas à m’en détacher… J’aimerais vraiment qu’ils aillent tous au bout de leurs rêves. Après, si le film va marcher, je ne peux pas savoir. Le cinéma, ce n’est pas comme le stand up, tu n’es pas sûre de remplir les salles. J’espère juste qu’ils verront le travail sincère que j’ai fourni. Et qu’au mieux, les spectateurs pensent : « Je suis Lila ».