Lyrics Alexandre – Reza Kokabi – Photos  Anouchkashoot – Fifou – Alexandre-Reza Kokabi

 

© Anouchkashoot

 

Condamné pour trafic de stupéfiants, Mouloud Mansouri a passé dix ans de sa vie en détention. Il a fondé l’association « Fu-Jo », dédiée à l’organisation de concerts, d’ateliers d’écriture et de stand-up en prison. 

Depuis dix ans, plus de 150 artistes ont brisé les murs le temps d’une évasion artistique. Mardi, pour fêter cet anniversaire, Mouloud Mansour et « Fu-Jo » s’invitent à la salle Pleyel pour le concert Hip Hop Convict, les dix ans. Le menu est alléchant et s’écrit à l’encre de Nekfeu & du S-Crew, de Georgio, Dinos, Cut Killer, Phénomène Bizness ou encore Luxe.

 

Comment l’idée d’organiser des concerts et des activités en prison a-t-elle germé dans votre esprit ?

Mouloud Mansouri : J’ai passé dix ans de ma vie en détention. Le temps de voir ce qu’il pouvait se passer à l’intérieur d’une prison, mais aussi de constater ce qui ne se passait jamais, notamment l’accès à des activités culturelles de qualité. Après plusieurs transferts de prison en prison, j’ai atterri dans un établissement où le directeur m’a semblé assez ouvert. A l’époque, j’étais DJ, alors je lui ai demandé de faire rentrer des platines, de me laisser organiser des concerts. Mon comportement a été observé pendant neuf mois, avant que ma démarche n’aboutisse enfin. J’ai organisé six concerts. Une fois sorti, j’ai mis un point d’honneur à apporter à des détenus ce qui m’avait manqué durant ce long séjour derrière les barreaux. « Fu-Jo » est née.

A vos yeux, l’art peut-il permettre de rendre moins oppressants les murs d’une cellule ?

A l’intérieur, c’était trop sombre. L’art éclaircit pas mal de choses et notamment les idées. Entre détenus, on échange souvent des idées sombres : l’un raconte son braquage, l’autre son trafic de stup’… L’art, c’est un peu d’extérieur qui rentre à l’intérieur. L’art, c’est la couleur, et c’est d’autant plus important dans un univers qui en manque.

Comment se déclinent les activités de « Fu-Jo » ?

Notre principale activité, c’est l’organisation de concerts. Cali, Olivia Ruiz, M, Benabar, Diam’s, Grand Corps Malade, Nekfeu, Soprano, la Sexion d’Assaut, Oxmo, Kaaris… Ils sont tous venus, un moment, se produire et échanger avec des détenus. On organise aussi pas mal d’ateliers d’écriture, de stand-up ou de close-up. Les projets s’étalent parfois sur une semaine, six mois ou un an. Des détenus ont joué au Jamel Comedy Club, d’autres ont travaillé sur l’album Shtar Academy.

 

Quelles sont, en général, les réactions des détenus ?

Ils sont toujours heureux et se sentent considérés, représentés. Ca les valorise de voir qu’on s’intéresse à eux. La semaine dernière, Nekfeu est venu à la prison de Nice, les détenus étaient ravis. Niska devait passer mais, comme il n’a pas pu venir, il a laissé un carton d’une centaine de t-shirt. C’est Nekfeu qui leur a offert. Ils étaient super contents. A l’arrivée, c’est une journée où ils se sentent bien, où ils se sentent libres. Ils nous le disent souvent : « aujourd’hui, on ne se sentait pas en prison ».

Quand vous vous rendez en prison, constatez-vous les effets de la surpopulation carcérale ?

Ce phénomène n’est vraiment pas nouveau, il existait déjà avant ma propre détention. Le vrai problème c’est que l’opinion publique se fout (sic) bien du sort des détenus. Pourquoi, alors, les institutions en feraient-elles une priorité ? Même si de nouvelles prisons venaient à se construire, le problème de fond persisterait. Pourtant, il existe d’autres moyens de placer un individu sous surveillance, sans pour autant les mettre sous écrou. 

Cet été, nous sommes intervenus dans le quartier des femmes de la prison de Nice. Elles étaient plus de 70 et certaines vivaient à six dans une cellule de neuf à douze mètres carrés ! (NDLR : la maison d’arrêt de Nice est surpeuplée. La partie réservée aux femmes est prévue pour 39 détenues et en accueille parfois le double.) Quand elles arrivaient, le matin, aux ateliers, elles étaient au bout de leur vies. Même nos chiens sont mieux traités ! Voilà où on en est au grand pays des droits de l’homme.

Avez-vous suivi la grève des surveillants pénitentiaires ?

Ce qui est dommage, je trouve, c’est que les revendications soient en partie resté concentrées sur les surveillants. Or, si leurs conditions de travail sont si difficiles et dangereuses, ça vient surtout des conditions de détention des prisonniers. Ces conditions délétères nourrissent les tensions et ont forcément des répercussions sur le travail des surveillants.

 

© Fifou

Qu’avez-vous concocté pour ce concert Hip Hop Convict, les dix ans ?

Un concert de plus de trois heures avec une bande d’artistes talentueux et cool. L’affiche n’est pas anodine : Georgio, Dinos, Nekfeu, Cut Killer… Tous ces artistes sont allés jouer en prison. Même Fred de Skyrock, le présentateur de la soirée, anime des ateliers à la prison de Fleury. Tous ces mecs sont fidèles à nos actions, viennent gratuitement.

Concrètement, on n’a pas beaucoup d’argent pour la réalisation de nos actions et ce concert peut nous aider à en financer quelques-unes. On va passer un bon moment.

En plus, c’est le premier concert de rap organisé à la salle Pleyel ! On espère ouvrir le bal à de nombreux artistes.

Et pour une fois, c’est pas la prison qui vous invite, c’est vous qui invitez la prison !

Effectivement ! D’ailleurs, pour l’occasion, on a fait sortir un détenu de la prison d’Osny. Quand je lui ai expliqué le projet, il m’a répondu « ouais, t’inquiète, ça va aller ! ». Je pense que quand il va arriver sur scène, sortant de prison, pour se produire devant 2000 personnes, ça va lui faire tout drôle ! (rires) 

 

© Alexandre – Reza Kokabi

 

Infos pratiques : 

Hip-Hop Convict Les 10 ans

Mardi 20 février (19h30)

, à Paris

Concert de soutien dont tous les bénéfices seront reversés à l’association Fu-Jo qui organise des évènements culturels dans les prisons.

A l’affiche : Nekfeu, S-Crew, Cut Killer, Georgio, Dinos, Phénomène Bizness, Luxe