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Le 1er novembre est communément associé à la fête catholique de La Toussaint, « La Fête des Morts ». Le 1er novembre dernier c’est autour d’une marche funèbre que ce sont réunis habitants et militants du quartier de La Plaine, à Marseille. Depuis plusieurs mois, ils luttent ensemble et ont finalement organisé ensemble une « marche funèbre » pour enterrer la concertation publique. 

C’est en 2011 que la SOLEAM, société de construction, se voit confier l’opération « Grand centre-ville » qui vise à renouveler l’attractivité du centre-ville de Marseille. La cité phocéenne, parmi les plus anciennes villes de France est aussi la troisième plus grosse aire urbaine après Paris et Lyon. On y dénombre en 2018 près de 900 000 habitants. 

Marseille c’est son vieux port. Marseille c’est sa corniche. Marseille c’est ses calanques. Marseille c’est ses quartiers nord. Mais Marseille c’est aussi et surtout une sociologie inédite en France puisque s’y déploie un centre-ville majoritairement pauvre. Le 3ème arrondissement, le quartier de la Belle de Mai y est d’ailleurs tristement célèbre pour détenir le record de pauvreté des communes françaises. D’après l’INSEE, plus de la moitié de ses habitants y vivraient sous le seuil de pauvreté. Ce découpage urbain en fait le lieu d’un espace de rencontres et d’échanges au moins aussi inédit. 

Musique, sport ou arts de rue … la ville possède un foisonnement artistique qui se déploie au travers de lieux ou de personnalités emblématiques. C’est au Cours Julien qu’IAM a fait ses premiers pas sur scène. C’est à la Friche de la Belle de Mai que les gamins viennent passer leurs mercredis après-midis et c’est sur les murs de la ville que le bouillon de créativité s’exprime. Malgré un brassage socio-culturel à l’origine d’un foisonnement créatif certain, Marseille n’en reste pas moins ravagée par une gestion désastreuse des dépenses publiques. Les quartiers nord y sont enclavés et très peu accessibles en transport, l’état d’insalubrité des écoles est régulièrement dénoncé par les syndicats d’enseignants, les moyens donnés aux structures associatives et éducatives y sont dérisoires. Ironie du sort, Marseille fait partie des villes de France avec le plus haut taux d’impôts locaux …

Pas étonnant donc que les déboires de la mairie et des équipes successives soient alors notoires. Le clientélisme et la corruption n’ont eu de cesse d’être dénoncés à travers les différentes luttes qui ont existées. Syndicalistes, collectifs de parents d’élèves, collectifs d’habitants, l’histoire des luttes politiques marseillaises est celle d’un combat de David contre Goliath. A l’image de celui de l’Assemblée de la Plaine, collectif d’habitants réunis pour sauver leur lieu de vie, actuellement en cours de réhabilitation, et qui suscite de nombreuses polémiques.

Le quartier, où cohabitent au quotidien commerçants locaux, forains, maraîchers soldeurs et locaux associatifs fait pleinement exister le caractère incandescent de Marseille. La Plaine se parle sur ses terrasses, se dispute pour ses places de parking, négocie aux étalages de son marché, joue sur son boulodrome, se rencontre sur ses bancs, rit à l’ombre de ses arbres, déguste des panisses dans les snacks qui l’entourent. Chibanis immigrés, étudiants en dech’, jeune bobos marseillais ou français issus de l’immigration, les femmes et les hommes de La Plaine vivent ensemble et luttent ensemble. Une lutte qui a commencé en 2012 quand l’Assemblée s’est créée pour dire non aux caméras de surveillance et qui se poursuit jusqu’en 2015, quand le collectif d’habitants se voit envoyer anonymement un dossier de la rénovation prévue par la SOLEAM. Là, c’est la douche froide : réduction du marché, suppression des bancs, diminution des places de parking et « montée en gamme » globale de la place. Les habitants et habitués connaissent déjà ce scénario. Il a déjà eu lieu sur le Cours d’Estienne d’Orves puis rue de la République. C’est la dynamique populaire du quartier qui est visée et toute sa sociologie qui en sera bouleversée. 

Jusqu’à aujourd’hui, la Plaine se bat et y croit. Repas partagés, carnavals, assemblées générales, rassemblements … Autant d’actions qui ont rythmé les trois années de lutte qu’a mené le quartier pour faire exister une véritable concertation publique.

Il y a un peu plus d’un mois, le 11 octobre, a eu lieu le dernier marché de la Plaine. Quelques jours après, les arbres de l’emblématique place Jean Jaurès ont été abattus. Après une tentative d’occupation de la place par les habitants et leurs soutiens (parmi lesquels les zadistes de Notre-Dame-des-Landes), la répression policière fût sans équivoque et fut finalement soldée par une annonce de Gérard Chenoz, maire adjoint de la ville : La Plaine sera emmurée. Un mur gris bétonné épais de 2m50 entoure la place Jean Jaurès depuis le 31 octobre. Le quartier est sous asphyxie mais n’a pas dit son dernier mot. « Le bêton n’a pas d’âme », « Chenoz mange tes murs », « A Marseille, la concertation, c’est bêton. », « Laisse bêton. » « La Plaine conscience » … Amateurs et artistes de rue ont passé la nuit à faire parler le mur de la honte.