Lyrics Nora Hamadi – Photo Lily Manapany

 

Wael Sghaier est un touche à tout. C’est au gré d’un défi qu’il s’est lancé dans un projet un peu fou : raconter SON 93, sa Seine-saint-denis. Un territoire souvent stigmatisé, caricaturé, qu’il s’est empressé de réhabiliter pour nous donner à voir l’autre face de la médaille : des rencontres fabuleuses, des habitants engagés et passionnants, des initiatives qui pullulent et surtout, un département où le monde est sur le pas de la porte.

 

Mon incroyable 93 est diffusé samedi 14 à 9H30 à la fête de l’humanité. 

Pour les autres dates et débats, rendez vous sur la

 

Pourquoi ce film ? Comment est né ce projet ?

J’ai fait ce film pour essayer de faire réfléchir sur l’image de la Seine-Saint-Denis, pour montrer que ce territoire est riche, riche de ses habitants surtout. Et avant tout, c’est pour mon kiff perso. 

J’ai grandi à Aulnay sous bois et à l’époque, je ne connaissais pas du tout ma ville, mon territoire. Je n’avais pas les armes pour le défendre lorsque je me disais fier d’avoir grandi en Seine-Saint-Denis. Ce projet est né d’un constat : on ne connait pas la Seine-Saint-Denis. On ne voit pas ce qui s’y passe au quotidien. 

L’idée est venue en 2014 lorsqu’en master 2, je devais trouver un stage de fin d’étude. C’était une reprise d’étude, je n’avais pas envie de faire un stage chiant. 

Je suis assis avec un pote sur une terrasse de café, on blague sur l’image du 93 et de la Bretagne (il est breton, il connait tout sur sa région). Lui prévoit de partir faire le tour de France. Je lui réponds alors, en blaguant, que je peux, de mon côté, faire le tour de France en Seine-Saint-Denis. Il me met au défi ! 

Deux mois après, j’étais en stage au comité départemental du tourisme du 93. J’ai voyagé quatre mois et demi en tenant un blog de voyage et en réalisant des podcast audio

Deux ans plus tard, je repartais découvrir la Seine-Saint-Denis cette fois avec une caméra. Aujourd’hui, j’ai un documentaire qui est au cinéma. Comme quoi, sur une blague, on peut faire de grande chose.

 

Quel est ton parcours ? Pourquoi t’être intéressé a ce sujet ? 

Je n’ai pas le bac, j’ai un BTS tourisme, j’ai failli avoir une licence. J’ai un (faux) BAC +4 et un master 2 en tourisme et territoire. J’en suis très fier ! Enfin, j’ai surtout fait ça pour le daron prof de Français !  

J’ai travaillé dans le milieu du tourisme pendant quelques années entre la France et le Québec et j’en ai eu marre de toutes ces cartes postales hors sol que favorise le tourisme de masse. Surtout, je suis passionné de voyage et je trouve que le tourisme favorise encore plus les clichés sur certains territoires, ne montre que le beau à la façon instagram et ne montre jamais les habitants, les riverains, ceux du quotidien. Les invisibles en somme. 

Quand je vois certaines publicités, ça me désole, c’est à des années lumières de la réalité. J’ai donc fait converger cette passion pour le voyage avec mon envie de défendre mon département et ça a donné ce film : « Mon incroyable 93 ». 

Aujourd’hui je travaille à la communication d’un lieu, Le MédiaLab93, un incubateur de talent à Pantin. Pour le kiff, je suis également programmateur musique à Mains d’Œuvres, un lieu incroyable à St Ouen. J’aide également des lieux et des associations en Seine-Saint-Denis à émerger et faire parler d’eux. Tout mon travail est concentré sur le 93. Non pas pour rendre la Seine-Saint-Denis touristique mais pour faire en sorte qu’on la regarde différemment, qu’on porte un regard normal sur elle.

 

 

 

Que penses-tu du traitement médiatique des quartiers populaires ?

Il n’est plus objectif. Plus du tout. Et depuis trop longtemps. Les quartiers populaires sont devenus la tête de turc des médias dominants. C’est de la désinformation ! La vraie fake news, elle est là ! 

On dissimule et on stigmatise le quotidien des habitants des quartiers. Ces habitants qu’on n’écoute pas, qui sont invisibles et à qui on ne donne jamais la parole. C’est un mépris total. 

La seule parole qu’on peut entendre, c’est celle de la misère, celle qui va générer du clic. Rien d’autre. Trop de négatif mis en avant, et ça gomme le positif. 

Avec ce documentaire, j’aimerais faire réfléchir ces rédacteurs.trices en chef qui ont l’habitude de traiter négativement les quartiers populaires. Il faut éduquer au positif et montrer que les bonnes nouvelles, c’est une bonne chose. Il faut habituer les habitants des quartiers aux bonnes nouvelles. Le documentaire est là pour normaliser la Seine-Saint-Denis – même si elle n’est pas totalement normale, pour montrer les 70% de positif sur ce territoire.

 

Comment changer cette image ?

C’est seulement sur le long terme que les choses changeront. Peut-être en proposant une loi qui punit les médias qui ne sont pas objectifs, une loi qui instaurait un quota de positif, un projet qui condamnerait ces auteurs de livres qui ne sont pas dans la nuance et qui parle exclusivement du négatif. 

Mais je crois que ce qui fonctionnerait le mieux à court terme, c’est de laisser les habitants raconter leur territoire, leur histoire. Et c’est la démarche du documentaire, donner envie de prendre une caméra et de décrire la réalité. 

C’est ce qu’à fait mon producteur, Nabil Habassi de  avec moi. Quand nous nous sommes recontrés, je lui ai dit : je ne suis pas journaliste, pas réalisateur, je n’ai rien écrit, je veux y aller seul, sans équipe de tournage. Il m’a répondu : vas-y, fait le pour rendre à la Seine Saint Denis ses lettres de noblesse et je te montre comment faire.

 

Quelle est la rencontre qui t’a le plus marque ?

Il y en a tellement que je ne pourrais pas en citer une en particulier. Et surtout, c’est un ensemble. Il n’y a pas une personne qui est meilleure que l’autre, elles ont toutes joué un rôle dans mon documentaire et joue un rôle sur le territoire. 

Je peux tout de même citer Betty, qui a eu le courage de me prendre en stop entre Pantin et Bagnolet ! Mais ce qui m’aura marqué, ce sont toutes ces personnes qui ont pris le temps de me faire visiter leur ville, leur quartier, leur voisinage, sans me connaitre, et avec la seule volonté de vouloir proposer une autre image du département.

 

Tu t’es fait tatoue 93 sur ton avant bras, jusqu’ou serais tu prêt a aller pour ton amour de la Seine Saint Denis ? 

Ce projet, c’est une passion. Une passion pour mon territoire. Une passion que j’entretiens au quotidien avec mes différents jobs. Je vis, je travaille et je rêve Seine St Denis. Cette passion elle va m’amener jusqu’à la commission européenne, jusqu’à Châteaulin en Bretagne voire jusqu’à Montréal. À la manière d’un Nadir Dendoune, je veux monter l’Everest ! C’est une image hein, je ne le ferai jamais, j’ai pas la condition physique, je ne suis même pas un footballeur du dimanche moi ! 

Par amour du 93, je vais surtout continuer à donner la parole aux habitants des quartiers populaires, à les mettre en valeur et leur donner envie de se battre pour la Seine-Saint-Denis.

 

Ce n’est qu’un debut ? Quelle suite pour ce projet ? 

Ah, ça, oui, ce n’est que le début de l’aventure ! Déjà, il va falloir diffuser le film, le montrer, qu’il soit vu et débattu car il est important que toutes les projections sont accompagnées d’un débat. On espère pouvoir le montrer au plus grand nombre, en Seine-Saint-Denis, en Ile-de-France et en région. Et pourquoi pas, à l’étranger. Je n’ai pas fait du Spielberg, du Mohamed Hamidi ou Olivier Babinet – gros big up à son film Swagger que je recommande – donc c’est plus compliqué de faire accepter ce film aux programmateurs de cinéma. 

En gros, c’est un film réalisé avec l’énergie de deux hommes : Moi, et mon producteur, un natif d’Aubervilliers et de Stains. Nabil est passionné par ce projet et donne tout pour ça !  Nous voulons proposer une image alternative du 93, avec du cœur, de l’humanité et de l’amour. Surtout l’amour. 

Pour la vraie suite, celle qui va nous permettre de mieux dormir et de ne plus fonctionner en flux tendu, on a des idées. Pourquoi ne pas aller sur d’autres territoires en rupture d’image et faire la même chose ? Avec grand plaisir, on attend les propositions de France 3, TF1 ou Netflix… 

A bon entendeur !