Lyrics Delphine Thébault Photo Nnoman

Il n’existe pas de chiffres officiels. Seule, une macabre comptabilité. 127. Entre 2000 et 2014, 127 personnes sont décédées suite à des bavures policières . De Malik Oussekine en 1986, à Amadou Koumé en avril dernier. Les morts s’égrènent. Les proches restent. Et combattent.

« Amal, tu sais quand on est embarqué au commissariat, on se fait cartonner, taper dessus. » Quand Amine Bentounsi raconte cela à sa soeur, elle n’y croit pas. « Pour moi la police ce n’était pas ça. Je mettais en doute la parole de mon propre frère. »

Amal parle au passé parce que depuis, Amine a été tué par un policier d’une balle dans le dos, le 21 avril 2012 à Noisy-le-sec. A cette époque, Amal mène une vie « normale, rangée » : c’est une maman heureuse, jeune entrepreneure dont les affaires tournent bien. Mais le jour où Amine est assassiné, elle plaque tout. Elle abandonne sa petite entreprise et se fixe un objectif : obtenir justice. Le regard vif, elle raconte qu’elle a été prise dans un tourbillon, qu’elle était seule, en colère : « Dans chaque famille touchée par ce genre de drame il y a un monstre qui sommeille et qui prend sur lui chaque jour. »

« Je mettais en doute la parole de mon propre frère »

L’histoire d’Amal, d’autres familles la vivent aussi. Et il y a d’autres familles qui se retrouvent seules face à tout cela. « Personne n’était là pour me dire comment faire. On ne m’a pas proposé, ni à moi, ni à mes proches de soutien psychologique. Comment on fait quand les photos de son frère, mort, sur une table d’autopsie, vous hantent chaque jour?», lâche-t-elle. Pour Amal c’est évident : il faut être solidaire. Il faut dire à ces familles combien il est important de se constituer partie civile. Combien il est important de faire du bruit. Il faut alerter aussi : dire que cela peut arriver à n’importe qui, au détour d’un contrôle d’identité par exemple. Amal adopte alors un slogan –volontairement choquant-, un site web même : urgence notre police assassine. Chaque jour où il y en a besoin Amal est sur le terrain, quitte à ne pas avoir le temps de profiter de ses enfants. Mais heureusement, à force de manifestations, de persévérance, il y a des petites victoires. Victoire ! Lorsqu’elle remporte son procès face à Manuel Valls, accusée de diffamation… « J’étais tellement emballée que je n’ai même pas pensé à lui réclamer des dommages et intérêts ! J’aurais dû ! » précise-t-elle dans un sourire.

« Urgence Notre Police Assassine ! »

Victoire ! Le jour où elle a appris que le chef d’inculpation « homicide volontaire » était retenu contre le policier qui a tué son frère.

Victoire ! Le jour où cela s’est produit une seconde fois : pour les meurtriers de Lahoucine Ait Omghar, tué le 28 mars 2013 de 16 balles.

Victoire ! Quand elle rencontre sur le terrain des gens qui, comme elle, se battent contre les violences policières… Alors qu’a priori elle n’aurait jamais dû les croiser. Elle pense au collectif du 8 Juillet et aux militants du barrage de Sivens.

Cela fait donc deux ans et dix mois qu’Amal a entamé ce long combat. Quand est-ce qu’il prendra fin ? Jamais. Le jour où un policier sera condamné à 10 ou 15 ans de prison pour meurtre, il y aura justice. Les policiers ne pourront plus tuer en toute impunité. « Mais il y aura encore toutes ces familles à aider. A soutenir. A qui il faudra donner envie d’aller jusqu’au bout. » Amal ne lâche rien.